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qu’il proposait d’appliquer au percement des Alpes.

Les procédés de M. Colladon avaient pour trait caractéristique l’emploi de l’air comprimé, devant servir, tout à la fois, à la transmission de la force mécanique et à l’aérage du souterrain.

À la même époque, un ingénieur du chemin de fer de Victor-Emmanuel, M. Bartlett, fit connaître une nouvelle machine à vapeur locomobile, destinée à pousser contre le roc, des fleurets de mineur. Mais la machine de M. Bartlett, excellente pour les travaux à ciel ouvert, ne pouvait s’appliquer aux travaux du mont Tabor, parce que la vapeur aurait bientôt rempli la galerie et rendu impossible la présence des ouvriers. Toutefois, on pouvait espérer d’arriver à un résultat satisfaisant, en combinant ensemble les deux moyens proposés par MM. Colladon et Bartlett, c’est-à-dire en substituant l’air comprimé à la vapeur dans la machine à perforer les roches.

La grande question était donc de se procurer facilement l’air comprimé dont on avait besoin pour faire marcher la machine.

Ce nouveau problème fut résolu par trois ingénieurs italiens, MM. Grandis, Grattone et Sommeiller, au moyen d’un appareil qui devait servir à la fois à la ventilation du tunnel, à la perforation du roc et au déblayement des débris produits par l’explosion des mines.

Le compresseur hydraulique imaginé par ces trois ingénieurs, consiste en une sorte de vaste siphon renversé qui, d’un côté, communique avec une chute d’eau de 26 mètres, et de l’autre, avec un réservoir d’air. L’eau est employée à comprimer l’air dans le réservoir, jusqu’à 6 atmosphères. Cet air, maintenu à la même pression, par une colonne d’eau en communication avec un réservoir élevé de 50 mètres, sert de force motrice pour enfoncer dans le roc, des fleurets horizontaux, qui y creusent des trous de mine. La poudre fait ensuite voler en éclats, la roche ainsi entamée ; et l’air comprimé est utilisé de nouveau pour opérer le déblayement des décombres.

Cet appareil fut essayé et étudié par une commission composée d’ingénieurs et de savants, qui déclarèrent qu’il creuserait les trous de mine douze fois plus vite que ne pourrait le faire le travail manuel ; — que, grâce à ce perforateur, on avancerait de 3 mètres par jour, au lieu de 0m,45 ; — et que, par conséquent, la durée totale du percement de la montagne serait réduite de trente-six ans à six années de travail seulement. Tout était donc pour le mieux.

Le 1er septembre 1857, eut lieu l’inauguration solennelle des travaux, avec une pompe digne de l’importance de cette œuvre gigantesque. Le roi Victor-Emmanuel et le prince Napoléon mirent le feu aux mèches des deux premières mines, à l’aide de deux fils électriques de 800 mètres de longueur, établis à Modane, au pied du mont Tabor du côté de la France. Les travaux commencèrent peu de jours après.

Cependant, on s’aperçut bientôt que les calculs de la commission étaient chimériques ; car, au lieu d’avancer, de chaque côté, de 3 mètres par jour, ce qui aurait donné une avance totale de 2 000 mètres par an et de 8 kilomètres en quatre ans, on n’était encore parvenu, au mois de septembre 1861, qu’à 750 mètres de l’extrémité de Modane, et à 950 mètres du côté de Bardonnèche ; total : 1 700 mètres seulement, en quatre années.

C’est que la difficulté de faire manœuvrer le perforateur mécanique au milieu des décombres et sur des surfaces irrégulières, compensait tous ses avantages, et retardait le travail dans une mesure extraordinaire. De plus, à mesure qu’on s’enfonçait dans les entrailles de la montagne, l’aérage devenait de plus en plus problématique.

On n’a donc pas tardé à reconnaître que le percement du tunnel des Alpes sera beaucoup plus long et plus difficile que ne le présentaient les prospectus de l’entreprise.