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que soit la résistance qu’offrent ses parois, lorsqu’on le remplit d’eau et qu’on l’expose, après l’avoir bien bouché, à l’action de la chaleur, était depuis longtemps connu[1].

Quant à la description de la machine, que donne Worcester dans le passage que nous venons de citer, elle est de tous points inintelligible. Les savants et les mécaniciens anglais ont mis leur esprit à la torture pour représenter par le dessin, un appareil réunissant les conditions indiquées dans l’ouvrage de Worcester ; mais ils n’ont pu le faire qu’en y introduisant des éléments d’origine moderne. Toutes les machines que l’on a ainsi péniblement reconstruites, pour donner quelque vraisemblance aux assertions de Worcester, ont cela de fort curieux, que pas une ne ressemble à l’autre. Comment, en effet, tirer quelque chose de raisonnable d’une description faite en quatre lignes, et où tout se réduit à dire : « Un des vases étant épuisé, l’autre commence à forcer et à se remplir d’eau froide. » De tels documents ne se discutent pas : il suffit de les citer.

Malgré le parti pris des écrivains anglais, en ce qui touche les droits de leur compatriote, il s’est rencontré parmi eux, un savant assez ami de la vérité et du bon sens pour rendre à l’évidence un hommage d’autant plus louable qu’il n’a rencontré jusqu’ici que peu d’imitateurs. Robert Stuart, dans son Histoire descriptive de la machine à vapeur, s’exprime ainsi au sujet du marquis de Worcester :

« Le plus célèbre de tous ceux qui ont associé leurs noms à l’histoire de la machine à vapeur dans son enfance, est un marquis de Worcester, qui vivait sous le règne de Charles II. Cette célébrité paraîtra fort extraordinaire, si l’on se rappelle d’un côté le dédain avec lequel on accueillit de son vivant ses prétentions extravagantes à l’honneur de plusieurs découvertes, la brièveté étudiée, le vague et l’obscurité qu’il a mis dans les descriptions des machines sur lesquelles il fondait ses titres de gloire et ses demandes d’encouragement ; et de l’autre, en voyant cet hommage éclatant que notre siècle a décerné à son génie mécanique, hommage qui paraît être autant au-dessus de son mérite réel que l’injuste indifférence de ses contemporains était au-dessous de son talent.

« Ses droits, comme inventeur, ne reposent au reste que sur le compte qu’il rend lui-même de l’utilité et des merveilleuses propriétés de ses inventions ; c’est donc sur la réputation de loyauté et de sincérité du marquis que nous devons mesurer la confiance que méritent ses propres assertions. Mais cette réputation, si l’esquisse qu’un contemporain a tracée du marquis ressemble à l’original, ne nous permet pas de croire un seul mot des explications mensongères consignées dans l’ouvrage intitulé : Century of Inventions. « Le marquis de Worcester, dit Walpole, s’est montré sous deux caractères bien différents, savoir : comme homme public et comme auteur. Comme homme public, c’était un homme de parti ardent ; et comme auteur, c’était un mécanicien original et fertile en projets chimériques ; mais il était de bonne foi dans ses erreurs. Ayant été envoyé par le roi en Irlande, pour négocier avec les catholiques révoltés, il dépassa ses instructions et leur en substitua de son fait, que le roi désavoua, mais toutefois en le mettant à l’abri des conséquences fâcheuses que pouvait avoir son infidélité. Le roi, avec toute son affection pour le comte (il était alors comte de Glamorgan), rappelle dans deux de ses lettres son défaut de jugement. Peut-être Sa Majesté aimait-elle à se confier à son indiscrétion, car le comte en avait une forte dose. Nous le voyons prêter serment sur serment au nonce du pape, avec promesse d’une obéissance illimitée à Sa Sainteté et à son légat ; nous le voyons ensuite demander cinq cents livres sterling au clergé d’Irlande, pour qu’il puisse s’embarquer et aller chercher une somme de cinquante mille livres sterling, comme ferait un alchimiste qui demande une petite somme pour procurer le secret de faire de l’or. Dans une autre lettre, il promet deux cent mille couronnes, dix mille armements de fantassins, deux mille caisses de pistolets, huit cents barils de poudre, et trente ou quarante bâtiments bien équipés ; et tout cela, au dire d’un contemporain, lorsqu’il n’avait pas un sou dans sa bourse, ni assez de poudre pour tirer un coup de fusil[2]. »

  1. M. Delécluze a fait connaître, en 1841, dans le Journal l’Artiste, un croquis assez informe retrouvé dans les manuscrits de Léonard de Vinci, représentant un instrument que l’illustre peintre de la renaissance désigne sous le nom d’architonnerre. Cet appareil était fondé sur les propriétés explosives de la vapeur d’eau comprimée. On reconnaît, en effet, en examinant avec soin ses dispositions, que la vapeur n’y pouvait agir qu’en le faisant éclater en mille pièces. M. Delécluze a vu dans cet instrument un véritable canon à vapeur et l’a décrit comme tel. L’écrivain des Débats nous permettra de ne pas accepter son interprétation ; l’architonnerre ne pouvait servir à chasser un boulet, mais simplement à tuer, par suite de son explosion inévitable, l’imprudent qui aurait essayé de l’employer.
  2. Robert Stuart va jusqu’à mettre en doute la réalité des inventions du marquis. « S’il est vrai, dit cet historien,