Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 1.djvu/32

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sant, son hommage au noble inventeur. Les nombreux écrivains qui, dans des ouvrages spéciaux ou les encyclopédies, se sont occupés de cette question, tels que le docteur Robison, le docteur Rees, MM. Millington, Nicholson, Lardner, Alderson, Tredgold, Thomas Young, sont unanimes sur ce point. Presque tous prennent comme point de départ de l’histoire de la machine à vapeur les travaux de Worcester. M. Pardington, membre de l’Institution royale de Londres, dans une édition qu’il a donnée, en 1825, de l’ouvrage du marquis, décide « que Worcester est le premier qui ait découvert un moyen d’appliquer la vapeur comme agent mécanique ; invention qui suffirait seule pour immortaliser le siècle dans lequel il vivait ». C’est en vain qu’Arago, dans sa Notice historique sur les machines à vapeur, publiée pour la première fois en 1828, a fait justice des prétendus droits de Worcester ; les ouvrages anglais écrits postérieurement au travail de l’illustre académicien, reproduisent imperturbablement la même assertion, et les auteurs d’un ouvrage important, publié vers 1850, par une société de mécaniciens anglais (Artisan club), répètent avec assurance : « C’est sans aucun doute à la conception du marquis de Worcester qu’il faut rapporter l’origine des machines à vapeur susceptibles d’application. »

Pour justifier tant de ténacité dans la défense d’une opinion historique, il faut que les témoignages qui l’appuient soient d’une force peu commune. Voyons sur quels documents on la fonde.

Le marquis de Worcester publia à Londres, en 1663, un ouvrage intitulé : Century of Inventions, etc. (Catalogue descriptif des noms de toutes les inventions que je puis me rappeler avoir faites ou perfectionnées, ayant perdu mes premières notes). Ce livre, d’un style des plus obscurs, contient de très-courtes descriptions, et quelquefois la simple annonce, de cent machines, inventions ou découvertes que l’auteur s’attribue. Il s’exprime ainsi, dans sa soixante-huitième invention :

« J’ai inventé un moyen aussi admirable que puissant pour élever l’eau par le moyen du feu, non pas avec les secours de la pompe, parce que celle-ci n’agit, selon l’expression des philosophes, que intra sphæram activitatis, qui a très-peu d’étendue ; au contraire, cette nouvelle puissance n’a pas de bornes, si le vase est assez fort. J’ai pris une pièce de canon dont le bout était brisé. J’en ai rempli les trois quarts d’eau, j’ai bouché ensuite, et fermé à l’aide de vis le bout cassé ainsi que la lumière, et fait continuellement du feu sous le canon : au bout de vingt-quatre heures il éclata avec un grand bruit. De sorte qu’ayant trouvé une manière de construire solidement mes vases et de les remplir l’un après l’autre, j’ai vu l’eau jaillir comme un jet continuel à quarante pieds de hauteur. Un vase d’eau raréfiée par le feu en fait monter quarante d’eau froide. L’homme qui surveille le jeu de la machine n’a qu’à tourner deux robinets, afin qu’un vase d’eau étant épuisé, l’autre commence à forcer et à se remplir d’eau froide, et ainsi de suite, le feu étant constamment alimenté et soutenu, ce qu’une même personne peut faire aisément dans l’intervalle de temps où elle n’est pas occupée à tourner les robinets. »

Le lecteur attend sans doute la suite de cet imbroglio ; mais cet imbroglio n’a pas de suite, et les lignes précédentes renferment tout ce que le marquis de Worcester a jamais écrit sur les applications de la vapeur. Maintenant, que l’on veuille bien peser avec soin tous les termes de cette description, et que l’on décide si l’on peut y trouver, nous ne disons pas l’idée d’une machine à vapeur, mais seulement un sens raisonnable. Tout ce qu’il est permis de comprendre à ce logogriphe, c’est que l’auteur a reconnu par expérience, qu’une pièce de canon remplie d’eau, et hermétiquement bouchée, peut éclater par l’action prolongée de la chaleur. Cette expérience est la seule que l’on puisse, l’histoire à la main, attribuer à Worcester, c’est pour cette raison que nous avons représenté dans la figure 14 qui accompagne cette partie de notre texte, le marquis de Worcester faisant éclater une pièce de canon par l’effet de la vapeur d’eau.

Il faut même nous empresser d’ajouter que le fait de l’explosion d’un vase quelle