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M. Thiers, ministre des travaux publics, et avec lui, l’administration des ponts et chaussées, repoussaient donc la pensée d’établir de grandes lignes, pour rattacher l’une à l’autre des villes séparées par d’assez grandes distances.

Associé avec MM. Mellet et Henry, M. Perdonnet sollicitait du gouvernement la concession du chemin de fer de Paris à Rouen. M. Thiers lui fit cette réponse : « Moi, demander à la chambre de vous concéder le chemin de Rouen ; je m’en garderai bien ! On me jetterait en bas de la tribune. » — « Le fer est trop cher en France », disait le ministre des finances. — « Le pays est trop accidenté », objectait un député. — « Les souterrains seront nuisibles à la santé des voyageurs », affirmait Arago, qui, dans la question des chemins de fer, ne se montra pas à sa hauteur ordinaire, égaré par une vaine préoccupation politique.

Du reste, cette objection d’Arago, que les tunnels exposeraient les voyageurs à des pleurésies ou à des rhumes, est si singulière, venant d’un homme placé à la tête de la science, et parlant à la tribune de la Chambre des députés ; elle caractérise si bien les préventions de cette époque contre les nouvelles voies ferrées, que nous croyons devoir mettre textuellement sous les yeux de nos lecteurs, ce passage du discours d’Arago, prononcé le 14 juin 1836, à l’occasion du vote de la loi sur le chemin de fer de Paris à Versailles.

« Il y a relativement au tunnel, dit Arago, une circonstance capitale, dont je vais entretenir la Chambre.

« Messieurs, aussitôt qu’on descend à une certaine profondeur dans le sol, on a toute l’année une température constante. À Paris et dans ses environs, cette température est de 8 degrés Réaumur environ ; personne n’ignore d’autre part, qu’en été, à l’ombre et au nord, le thermomètre de Réaumur (je parle de ce thermomètre, parce que vous en avez peut-être une plus grande habitude que du thermomètre centigrade), le thermomètre de Réaumur est quelquefois à 30 degrés au-dessus de zéro ; au soleil, la température est de 10 degrés plus considérable. D’ailleurs, on n’arrivera pas d’emblée à l’embouchure du tunnel ; les approches sont formées par des tranchées profondes, comprises entre deux faces verticales fort rapprochées, où le renouvellement de l’air sera très-lent, où la chaleur ne pourra pas manquer d’être étouffante. Ainsi on rencontrera dans le tunnel, une température de 8 degrés Réaumur, en venant d’en subir une de 40 ou 45 degrés. J’affirme sans hésiter que dans ce passage subit les personnes sujettes à la transpiration seront incommodées, qu’elles gagneront des fluxions de poitrine, des pleurésies, des catarrhes (bruits divers).

« On a parlé tout à l’heure de toutes les merveilles du chemin de la rive droite ; permettez-moi de vous présenter l’ombre du tableau. (Parlez !) Je ne devine pas ce qui peut soulever des doutes. Quelqu’un conteste-t-il que dans l’intérieur de la terre, à la profondeur du souterrain, la température ne doive être à peu près constante, et de 10 degrés et demi centigrades, ou de 8 degrés et une fraction de Réaumur ? Veut-on nier qu’à l’ombre et au nord, la température sera quelquefois de 30 degrés ; que dans la tranchée qui précédera le tunnel, elle s’élèvera de 10 à 15 degrés de plus ? Ceci une fois admis, j’en appelle à tous les médecins pour décider si un abaissement subit de 45 à 8 degrés de température n’amènera pas des conséquences fatales ? Veut-on d’ailleurs des faits, j’en citerai un.

« Je traversais un matin, par un temps nébuleux, le tunnel de Lidesgool, situé sous la ville, et dans lequel les voyageurs ne vont plus. L’Allemand avec lequel je faisais route était transi, et me demanda en grâce de l’envelopper dans ma redingote. Cependant la différence de température n’était pas à beaucoup près aussi considérable que celle dont je viens de parler, et qui existera inévitablement pendant deux ou trois mois de l’année au tunnel de Saint-Cloud. »

Où donc Arago prenait-il les 45 degrés de chaleur en plein air ?

Et non content d’évoquer le fantôme de la pleurésie, Arago terminait le tableau en faisant apparaître au fond du tunnel, l’explosion d’une locomotive.

« Vous savez, Messieurs, puisque je les ai développées à cette tribune, quelles sont mes idées sur l’explosion des machines à vapeur ; vous savez que je ne crains pas beaucoup l’explosion des machines à haute pression ; j’ai même soutenu qu’avec les précautions que la loi prescrit, elles doivent être moins fréquentes que les explosions des machines ordinaires. Mais enfin la chose est possible ; il est possible qu’une machine locomotive éclate ; c’est alors un