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diligences, c’est-à-dire des boîtes de sapin, trop basses, trop courtes, sans lumière et sans air. Mais les voyageurs de cette époque se montraient peu exigeants. Ils n’étaient pas encore gâtés par l’usage des confortables et des coupés-lits.

Nous eûmes le bonheur d’arriver à Saint-Étienne sans encombre ; c’était tout ce que l’on pouvait demander à notre embryon de chemin de fer.

La visite attentive d’une mine de charbon, la vue des travaux des houilleurs, enterrés à une profondeur de 400 mètres, au milieu d’un noir dédale de galeries, de carrefours, de puits, d’échelles, etc., est assurément le spectacle le plus intéressant que l’on puisse présenter à l’imagination d’un jeune étudiant, avide d’observer et d’apprendre. Mais, après les surprises infinies et les vues saisissantes de l’exploitation de la houillère, il y avait un autre spectacle, aussi curieux. C’était le chemin de fer lui-même, que je ne pus bien observer qu’en revenant de Saint-Étienne à Lyon, car le retour se fit tout entier de jour, ce qui n’avait pas eu lieu pour l’aller.

Les diligences qui nous cahotaient sur les rails, étaient traînées par des moteurs, qui changeaient selon la disposition des lieux. Elles étaient remorquées, au moyen de cordes s’enroulant sur des poulies, par des machines à vapeur fixes, distribuées sur le parcours de la voie, quand il s’agissait de remonter une forte rampe ; — par des chevaux attelés en tête du convoi, si la rampe était modérée ; — par de véritables locomotives, quand la route était de niveau ; — enfin, par leur propre poids, dans les descentes continues. Sur le parcours de Saint-Étienne à Rive-de-Gier, par exemple, le train était lancé sur le flanc de la montagne, emporté par la force de la pesanteur. Quelquefois, quand deux pentes se rejoignaient sur un plateau étroit, avec des inclinaisons équivalentes, le poids du train descendant était utilisé pour hisser le train ascendant, ou réciproquement, comme on le fait dans l’intérieur des mines de charbon, quand on remorque les wagons vides, par le poids de quelques wagons pleins de houille.

On comprend toute l’étrangeté d’un voyage qui empruntait des modes de locomotion si divers. À chaque instant, le moteur changeait de nature. Aux portes de Saint-Étienne, c’était une locomotive qui entraînait le convoi ; plus tard, des chevaux remplaçaient la locomotive. Ailleurs, c’est-à-dire dans une forte montée, on se sentait hissé par des cordages, qu’enroulait sur un tambour, une machine à vapeur fixe. Le voyageur ne pouvait s’empêcher de frémir en songeant que sa vie était littéralement suspendue au bon état de cette corde. Il était évident, en effet, que si les cordes, usées par un service quotidien, venaient à se rompre, et que le conducteur n’eût pas le temps ou la présence d’esprit, de serrer les freins, disposés pour mordre les rails dans un cas pareil, le convoi aurait roulé au bas de la côte, avec une vitesse multipliée par sa masse, produit arithmétique capable de donner le frisson à l’homme le plus courageux.

On voit donc que rien n’était plus pittoresque qu’un voyage sur le chemin de fer construit par Séguin aîné.

Ces capricieux arrangements ont peu à peu disparu du chemin de fer de Saint-Étienne à Lyon. Les rectifications incessantes que l’on a apportées au tracé, et les changements introduits dans le matériel, depuis qu’il a été réuni à d’autres lignes, ont amené la suppression de toute machine fixe. Mais en 1838, le mélange hétéroclite dont nous venons de présenter le tableau abrégé, fonctionnait sur toute la ligne. Ce n’est qu’en 1832 que des locomotives construites à Lyon, dans un atelier du quai Louis XVIII, avaient remplacé les chevaux, sur certains points du parcours.

Le chemin de fer de Saint-Étienne à Lyon avait toutes sortes d’inconvénients. Il exposait les voyageurs à de véritables dangers, ou à de légitimes craintes. Mais il avait un avantage.