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« Cet officier l’ayant trouvé de tous points semblable à la sienne, le ministre Choiseul chargea l’ingénieur Cugnot d’exécuter aux frais de l’État celle par lui commencée en petit.

« Mise en expérience en présence du ministre, du général Gribeauval et en celle de beaucoup d’autres spectateurs, et chargée de quatre personnes, elle marcha horizontalement, et j’ai vérifié qu’elle aurait parcouru environ 1 800 à 3 000 toises par heure, si elle n’avait pas éprouvé d’interruption.

« Mais la capacité de la chaudière n’ayant pas été assez justement proportionnée avec assez de précision à celle des pompes, elle ne pouvait marcher de suite que pendant la durée de douze à quinze minutes seulement, et il fallait la laisser reposer à peu près la même durée de temps, afin que la vapeur de l’eau reprît sa première force ; le four étant d’ailleurs mal fait, laissait échapper la chaleur ; la chaudière paraissait aussi trop faible pour soutenir dans tous les cas l’effort de la vapeur.

« Cette épreuve ayant fait juger que la machine exécutée en grand pourrait réussir, l’ingénieur Cugnot eut ordre d’en faire construire une nouvelle, qui fût proportionnée de manière à ce que, chargée d’un poids de huit à dix milliers, son mouvement pût être continu pour cheminer à raison d’environ 1 800 toises par heure.

« Elle a été construite vers la fin de 1770, et payée à peu près 20 000 livres.

« On attendait les ordres du ministre Choiseul pour en faire l’essai, et pour continuer ou abandonner toutes recherches sur cette nouvelle invention ; mais ce ministre ayant été exilé peu après, la voiture est restée là, et se trouve aujourd’hui dans un couvert de l’Arsenal[1]. »

Ce rapport semble établir que les essais définitifs de la voiture de Cugnot ne furent point exécutés. Cependant Bachaumont nous apprend le contraire.

« On a parlé, il y a quelque temps, nous dit l’auteur des Mémoires secrets, à la date du 30 novembre 1770, d’une machine à feu pour le transport des voitures, et surtout de l’artillerie, dont M. Gribeauval, officier en cette partie, avait fait faire des expériences qu’on a perfectionnées depuis, au point que mardi dernier la même machine a traîné dans l’Arsenal une masse de cinq milliers servant de socle à un canon de 48, du même poids à peu près, et a parcouru en une heure cinq quarts de lieue.

« La même machine doit monter sur les hauteurs les plus escarpées et surmonter tous les obstacles de l’inégalité des terrains ou de leur abaissement. »

Mais cet espoir fut déçu, car la tradition rapporte que, dans des essais postérieurs, la violence des mouvements de cette machine ayant empêché de la diriger, elle alla donner contre un pan de mur de l’Arsenal, qui fut renversé du choc.

Cugnot obtint du gouvernement français, sur la proposition du général Gribeauval, une pension de six cents livres. Il en jouit jusqu’au moment de la révolution, qui vint le priver de cette faible ressource. Le malheureux officier serait alors mort de misère, si une dame charitable de Bruxelles ne lui eût fourni quelques secours.

En 1793, un comité local de Salut public voulut démolir, pour en fabriquer des armes, la machine de Cugnot, qui se trouvait toujours à l’Arsenal. Mais des officiers d’artillerie s’opposèrent à ce projet.

Le général Bonaparte, à son retour d’Italie, eut connaissance de l’existence de la machine de Cugnot, et il exprima à l’Institut l’opinion qu’il serait possible d’en tirer parti.

Bonaparte fut nommé membre d’une Commission qui devait examiner l’appareil ; mais son départ pour l’Égypte empêcha de nouveaux essais.

En 1799, Molard, directeur du Conservatoire des Arts-et-Métiers, réclama le chariot à vapeur de Cugnot pour cet établissement. Mais ce ne fut que deux ans après que l’on donna suite à cette demande, par suite de l’opposition qu’elle rencontra auprès du ministre Roland et de quelques officiers. La machine de Cugnot fut donc transportée en 1801, au Conservatoire des Arts-et-Métiers.

Cugnot avait alors soixante-quinze ans. À la suite d’un rapport favorable sur ses travaux, fait par une commission académique, Bonaparte lui rendit sa pension, qui fut portée à mille livres. Il mourut en 1804, âgé de soixante-dix-neuf ans, au moment où les premières locomotives commençaient à marcher sur les voies ferrées de Newcastle.

La voiture à vapeur de Cugnot existe en-

  1. Rapport adressé au ministre de la guerre, le 24 janvier 1801, par L. N. Rolland, commissaire général de l’artillerie.