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vire, sa seconde patrie. Le mécanicien sera le véritable commandant du bord. La science, et non l’intrépidité individuelle, remportera les victoires. La puissance matérielle des nouveaux bâtiments prendra la place de l’intelligence des officiers et du courage des matelots. Le boulet et l’obus impuissants ne frapperont plus des agrès inutiles. Ils ne rencontreraient que le fer de la cuirasse, et rejailliraient inoffensifs, dans la mer. Le pavillon national, flottant au-dessus de la carapace noire et nue, fera seul comprendre qu’il existe dans cette masse sombre et silencieuse, des cœurs de soldats. On ne sentira les navires guidés par une volonté unique, qu’à leurs mouvements réguliers et aux bordées terribles lancées par leurs canons.

« Il y a dans tout cela quelque chose d’amer et de triste pour la dignité militaire et le courage d’un homme de cœur ; mais le devoir de tous est de s’incliner devant le progrès, quelles que soient les conséquences qu’il entraîne.

« Par l’emploi général de la cuirasse métallique, les forces maritimes seront à l’avenir égalisées, car les faibles navires ne deviendront pas aussi facilement qu’autrefois, la proie des grands. Ce sera dans l’épaisseur de la cuirasse, dans la rapidité des mouvements, dans la pente bien calculée du pont et des murailles, que résidera désormais la force, plutôt que dans la masse du navire ou la puissance de son artillerie. Une petite nation, comme le Danemark, sera forte avec une marine cuirassée relativement minime, si ses navires sont bien armés et bien construits. Une faible nation maritime, si elle peut s’imposer la dépense des 7 millions qu’a coûté la Gloire, pourra faire respecter son pavillon sur les mers. Si une flotte anglaise, par exemple, comme en 1807, bombardait Copenhague, les Danois pourraient promptement user de représailles contre leurs voisins. Il suffirait de deux batteries flottantes, pour faire subir le même sort à une riche et florissante cité anglaise, située en un point quelconque de ses côtes. La crainte de semblables représailles arrêterait d’injustes agresseurs dans l’exécution de leurs desseins meurtriers.

« Ainsi l’emploi de la cuirasse tendra à égaliser les forces maritimes des nations les plus disparates par leur importance. Ce ne sera plus tant la grandeur des États, mais leur degré d’industrie qui fera désormais la puissance navale.

« Il y aura là un double progrès, puisqu’en même temps que les combats sur mer seront moins meurtriers, leur prévision entraînera un développement considérable des forces industrielles de chaque nation, développement qui profitera à l’industrie métallurgique et à la science de l’ingénieur[1]. » Revenons pour terminer ce chapitre, à l’hélice propulsive.


Nous disions plus haut que l’hélice présente moins d’avantages pour le service des fleuves que pour celui de la mer. Cependant, on a commencé à construire des bateaux à hélice pour le service des fleuves et des rivières. On en voit quelques-uns sur les fleuves de l’Amérique. En France, les bateaux à hélice sont encore rares dans nos fleuves.

Un des bateaux à vapeur qui font le service d’omnibus sur la Seine, depuis l’Exposition universelle de 1867, est mû par une hélice. Nous représentons (figure 121, page 256) ce modèle intéressant d’un bateau à hélice, destiné à la navigation sur les fleuves et rivières.

La disposition extérieure de ce bateau à hélice, est la même que celle des grands bateaux à vapeur qui parcourent les grands fleuves de l’Amérique, ces véritables palais flottants à deux ou trois étages qui transportent cinq ou six cents personnes, dans trois galeries superposées. Ainsi le bateau-omnibus à hélice dont le lecteur a la figure sous les yeux, et qui parcourt les rives tranquilles de la Seine,

  1. L’année scientifique et industrielle, par Louis Figuier, 7e année, pages 227-236, in-18, Paris, 1863.