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velles constructions navales. Ce sera donc désormais une terrible guerre que celle des croiseurs et des corsaires, qui monteront nécessairement des navires bardés de fer. Si une guerre internationale venait à éclater, les vaisseaux marchands n’auraient qu’à chercher un prompt salut au fond des ports, sous la protection des canons de la place.

« Les Anglais, dont les vaisseaux de bois sillonnent aujourd’hui les mers, auraient tout à redouter d’une guerre de ce genre. En six mois, cinq ou six de nos frégates cuirassées suffiraient pour ruiner le commerce de l’Angleterre, en anéantissant les milliers de bâtiments marchands qu’elle possède, ou bien en lui interdisant, par la terreur, toute navigation de longue haleine.

« Ajoutons qu’avec ces navires invulnérables, on peut transporter rapidement un corps de troupes dans des possessions lointaines, surprendre les colonies, les rançonner ou les ravager. Il y aurait là, pour la Grande-Bretagne, qui ne vit que par ses colonies, un danger immense. Elle serait attaquée dans les principes mêmes de son existence. Londres n’est pas, en effet, à l’Angleterre, ce que Paris est à la France : un cœur ou une tête, de l’intégrité desquels dépend l’existence du corps. Cette puissance tire sa séve et sa richesse de ses nombreuses et florissantes colonies, au moyen de nombreux vaisseaux qui vont explorer tous les points de la terre. Les frégates cuirassées détruisant les racines et les sources de la séve britannique, le tronc ne tarderait pas à périr.

« Combats sur mer. — Les combats navals seront probablement à l’avenir évités, comme inutiles, ou nuls dans leurs effets.

« Avant l’invention de la cuirasse, grâce aux progrès de l’artillerie et avec les moyens dont ils pouvaient disposer, deux vaisseaux de guerre ennemis, bien armés et montés par de courageux équipages, devaient s’entre-détruire inévitablement, en un bref intervalle de temps. L’application de la cuirasse de fer a tout changé, et produit un résultat contraire. Au lieu de s’entre-détruire en quelques minutes, deux frégates cuirassées seraient fort embarrassées pour se nuire sensiblement dans toute une journée. Les faits ont déjà prouvé la vérité de cette assertion. En 1862, pendant la guerre d’Amérique on vit durant cinq heures, les boulets ou les obus du Monitor, du poids de 184 livres, ricocher sur la cuirasse du Merrimac ; en sorte que si le Merrimac eût continué son œuvre de destruction sur les navires en bois de l’escadre fédérale, sans s’occuper du nouveau venu, le Monitor eût été impuissant à l’en empêcher.

« Les Anglais n’avaient accepté qu’avec répugnance le blindage métallique des navires, dont l’invention leur venait de la France. Dans leur désir de rendre nuls les effets de cette armure défensive, appelée à réduire à l’impuissance leur immense matériel naval, ils ont cherché à créer des canons capables de les percer. Ils y sont parvenus, car le problème, consistant à briser par des boulets, des plaques métalliques d’une épaisseur donnée, n’était point au-dessus des ressources de l’art moderne. Il n’y avait qu’à prendre des canons d’une puissance considérable et capables de recevoir des charges extraordinaires de poudre. Nos voisins ont fait grand bruit des expériences de Schœburyness, exécutées pendant l’été de 1862 et reprises, avec un succès moins contestable, au mois de novembre de la même année. Là, en présence d’une réunion d’amiraux, d’ingénieurs et d’officiers, on a montré avec orgueil, l’effet destructeur d’un canon Withworth, qui est parvenu, à 800 mètres de distance, à traverser des plaques métalliques plus épaisses que celles du Warrior, c’est-à-dire de 4 et de 5 pouces d’épaisseur, reposant sur un revêtement de bois de 18 pouces. Les boulets lancés pesaient 150 livres et la charge de poudre était de 27 livres. Ce canon était d’un formidable poids. Il pesait 7 tonnes.

« Les expériences de Schœburyness, à tort