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À la même époque, c’est-à-dire en 1838, parut le système de MM. Smith et Rennie, qui ne différait que fort peu de celui de Frédéric Sauvage.

Plus heureux que notre compatriote, les deux constructeurs anglais réussirent à obtenir la formation d’une société qui prit le titre de Compagnie de propulsion par la vapeur. Cette compagnie fit construire, pendant les années 1838 et 1839, un grand et beau navire, l’Archimède, qui fut consacré à étudier l’hélice d’une manière définitive, dans les conditions de la grande navigation. Des expériences comparatives, prolongées pendant plus d’une année, ayant fait reconnaître toute l’utilité de ce système, en 1842, la compagnie propriétaire du magnifique steamer le Great-Britain, dont nous avons plus haut rappelé l’origine, arma ce navire d’une hélice, d’après les plans, de MM. Smith et Rennie.

En 1847, le Ruttler, navire construit par la même compagnie, pour étudier l’hélice se trouvait dans le port de Boulogne, et le commandant anglais se livrait dans ce port, à des essais comparatifs de vitesse avec des navires à roues du même tonnage. On assure que Frédéric Sauvage, en prison pour dettes à Boulogne, assistait, de l’une des fenêtres de sa prison, aux essais, faits par les ingénieurs anglais, du système qu’il avait tant étudié et qu’il n’avait pas été assez heureux pour voir mettre en pratique. On comprend qu’un pareil spectacle ait pu égarer la raison du malheureux mécanicien.

En 1842, Frédéric Sauvage avait adressé à l’Académie des sciences, un mémoire sur l’application de l’hélice à la navigation. Il demandait, dans ce mémoire, à être autorisé à répéter devant une commission de l’Académie, ses expériences sur la prééminence que l’hélice simple présente sur l’hélice à plusieurs filets. Un rapport fut fait sur ce mémoire, par MM. Séguier, Poncelet, Combes et Piobert. Le baron Séguier, rapporteur, s’exprimait en ces termes :

« La France, qui a vu naître en 1775, à Baume-les-Dames, l’invention de la navigation à vapeur, due au génie de l’un de ses enfants, le vieux marquis de Jouffroy qui, le premier, a fait naviguer avec succès un grand bateau, à l’aide de la vapeur, aura encore l’honneur de voir naître chez elle ses plus importantes modifications. Aujourd’hui, nous venons un instant réclamer votre bienveillante attention en faveur d’expériences tentées par un ex-constructeur français de Boulogne-sur-Mer, devenu mécanicien fort ingénieux. Vous trouverez, messieurs, quelque opportunité dans la demande que vous a adressée M. Sauvage, de répéter sous les yeux d’une commission, avec des modèles construits à l’échelle, les expériences auxquelles il s’est déjà livré plus en grand, si nous vous disons qu’en ce moment même des ingénieurs anglais importent en France les mêmes idées dont M. Sauvage a pris le soin de se garantir la propriété par un brevet pris à une époque déjà assez reculée. M. Sauvage trouve que la puissance de son hélice, comparée à celle des autres d’une construction différente, est plus grande dans le rapport de 20 ou 18 à 14. Il est jaloux d’assurer à la France la priorité d’une application qu’il a lui-même portée à un degré de perfectionnement supérieur à celui atteint par ses concurrents. »

Mais Frédéric Sauvage ne put obtenir de répéter sous les yeux d’une commission académique, les expériences que les ingénieurs anglais exécutaient dans le même moment et sur le même objet, au milieu d’un port français.

D’après M. Charles Dupin, qui a discuté ce point dans son Rapport sur l’Exposition de Londres de 1851, M. Smith, qui n’était qu’un simple fermier à Middlesex, aurait la priorité sur Frédéric Sauvage, dont il aurait devancé de quatre ans le projet ; car les expériences faites en 1842 avaient été précédées, comme nous l’avons dit plus haut, d’essais faits par M. Smith, en 1838 et 1839, sur la Tamise et le canal de Paddington.

Ce qui est certain, c’est que les Anglais regardent Smith comme l’inventeur de l’hélice appliquée à la navigation, et que ce dernier a reçu à ce titre une récompense nationale.

On peut dire, pour résumer cet exposé historique, que l’idée théorique de l’emploi de l’hélice dans la navigation appartient à Daniel Bernouilli, à Paucton et au capitaine français Delisle ; et que la première application réussie