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épisode du premier bateau à vapeur venu à Paris, en traversant la Manche.

Arrivé à Londres au mois de janvier 1816, le capitaine Andriel, malgré plusieurs jours de recherches, ne put découvrir sur la Tamise ni dans les docks, que trois pauvres bateaux, dont le plus fort, le Margery, n’avait que 16 mètres de longueur sur 5 de largeur, et n’était pourvu que d’une machine de la force de 10 chevaux. N’ayant pas le choix, il dut se contenter de ce chétif modèle. Il le débaptisa de son nom britannique de Margery, pour lui donner le nom d’Élise ; et le 9 mars 1816, il s’embarquait sur ce bateau, avec dix hommes d’équipage, y compris le mécanicien et le chauffeur.

L’Élise était partie du pont de Londres à midi. À trois heures on était à Gravesend. On quitta cette ville, le lendemain dimanche.

Le bateau à vapeur ne tarda pas à rencontrer sur la Tamise, un cutter de la marine royale.

Le commandant de ce vaisseau pressentait sans doute dès ce moment, les grandes destinées qui attendaient la navigation par la vapeur, et la supériorité qu’elle devait manifester un jour sur la marine à voiles ; car il essaya d’arrêter dans ses langes la jeune invention qui se montrait pour la première fois à ses regards. Il dirigea ses bordées vers l’Élise, qu’il mit plusieurs fois en danger de couler. C’est en vain que l’équipage protestait, au moyen du porte-voix, contre ses brutales attaques. Abusant de sa force, le navire courut de si près sa dernière bordée, que son mât de beaupré vint heurter la cheminée de tôle de la machine à vapeur de l’Élise.

Cependant, par un effort de vitesse, le bateau à vapeur parvint à se mettre hors de l’atteinte de son terrible ennemi, qui espérait sans doute, qu’en coulant l’Élise il aurait suffisamment établi, aux yeux de tous, les dangers du nouveau mode de navigation.

Le 10 mars, à onze heures du soir, l’Élise se trouvait à la hauteur de Douvres ; et le 11, elle entrait dans la Manche, à 35 milles sud de Beachy-Head, dans la direction du Havre, lorsqu’un vent du sud-ouest des plus violents, la crainte des avaries, enfin quelques murmures de l’équipage, qui n’osait braver, avec la vapeur, les dangers de la haute navigation par une grosse mer, décidèrent le capitaine à rebrousser chemin. On ramena donc le bateau à vapeur sous Demgerness, où l’on jeta l’ancre, au milieu de beaucoup de bâtiments, qui étaient venus s’y abriter comme lui.

Le mauvais temps s’étant maintenu, ce ne fut que quatre jours après, c’est-à-dire le 15, à cinq heures du matin, que l’Élise put reprendre la mer, et se diriger vers le Havre. Mais à midi, un fort vent du sud souleva les vagues avec tant de violence qu’elles emportèrent quatre des palettes de fer des roues du bâtiment, ce qui le força d’entrer au port de New-Haven, pour réparer cette avarie.

L’accident réparé, l’Élise quitta New-Haven, à une heure de l’après-midi, en présence d’une foule nombreuse, accourue de tous les environs, pour assister au spectacle nouveau d’un bateau à vapeur prenant la mer.

À peine l’équipage de l’Élise avait-il perdu de vue la côte d’Angleterre, que la mer devint menaçante. Les lames étaient si fortes, que la coque du bateau sortait à moitié du liquide, dès lors l’une des roues tournait hors de l’eau. Vers minuit, la tempête devint furieuse. L’équipage était épouvanté, tant de l’inégalité du jeu de la machine, par suite de l’élévation de l’une des roues hors du liquide, que de la violence de la tempête, et de l’imprévu d’une navigation qui plaçait les passagers entre le feu et l’eau, sur une chétive embarcation, par une nuit noire et une pluie battante. L’équipage, entièrement composé de matelots anglais, demanda donc à grands cris, de retourner en Angleterre, car le vent était favorable au retour.