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dès l’année 1811 dans cette belle carrière, en même temps que Henry Bell, établit un paquebot à vapeur sur la Tamise, pour faire le service entre Gravesend et Londres. Ce fut le premier bateau à vapeur de la Tamise. En même temps, M. Lawrence, de Bristol, qui avait établi un paquebot à vapeur sur la Severn, excité par cet exemple, amena ce bateau à Londres pour le consacrer à un service régulier sur la Tamise. Mais l’opposition des bateliers et des matelots de Londres fut telle, que M. Lawrence fut contraint de renoncer à son entreprise, et de ramener son bateau sur la Severn. Plus tard, ce même bateau fut envoyé en Espagne, où il fit un service de transports de rivière entre Séville et San-Lucar.

Nous venons de voir la navigation par la vapeur débuter dans la Grande-Bretagne, marcher avec timidité, mais en définitive avec succès, dans sa voie, et triompher peu à peu des obstacles que toute invention nouvelle rencontre à son origine, obstacles qui résultent à la fois de son état d’imperfection et des résistances que lui opposent les intérêts divers qu’elle menace. Nous allons maintenant suivre dans notre pays les progrès de la navigation par la vapeur.

Ses progrès en France furent, comme on va le voir, beaucoup moins heureux dans la même période.

C’est en 1815 que l’on songea pour la première fois, parmi nous, à l’établissement de la navigation par la vapeur. La paix venait d’être conclue entre la France et les nations de l’Europe, coalisées contre sa puissance et son génie. L’industrie française profita de cette trêve de paix, pour essayer d’exploiter une invention dont la priorité, reconnue, constitue pour notre pays un titre de gloire nationale.

M. de Jouffroy, à qui revient l’honneur d’avoir le premier, dans le monde entier, fait naviguer un bateau à vapeur, avait, comme nous l’avons dit, émigré pendant la révolution et passé à l’étranger une existence obscure.

Il revint en France après la paix de Lunéville, et rassembla les débris d’une grande fortune, qu’avaient d’abord beaucoup réduite ses travaux scientifiques, et que les mesures révolutionnaires contre les émigrés, avaient fini par anéantir.

Le général de Follenai rentra en France en même temps que son ami. En 1792, il avait commandé la ville d’Avignon, alors ensanglantée par la guerre civile et les exploits de Jourdan Coupe-tête. Dénoncé pour incivisme, parce qu’il avait maintenu la discipline parmi ses soldats, auxquels on prêchait ouvertement l’insubordination, il avait été mis à la retraite. Contraint de fuir d’asile en asile, les délations des terroristes, il avait fini par émigrer. À peine rentré en France, il rejoignit M. de Jouffroy, et tous deux reprirent immédiatement leur entreprise, forcément abandonnée.

M. de Jouffroy demandait au gouvernement la délivrance, en sa faveur, d’un brevet d’invention, et Follenai cherchait à former une nouvelle compagnie financière.

Le 24 décembre 1801, M. de Jouffroy écrivait du château d’Abbans à M. de Follenai :

« Comme on me demande un petit modèle, je travaille fort à celui que j’ai commencé ; j’y mets tous mes soins ; j’espère qu’il satisfera tous ceux qui le verront. Je suis presque décidé à le porter moi-même à Paris. Je chargerais sur mon chariot deux muids de mon vin blanc vieux, et nous deux, mon fils Ferdinand et moi, nous le conduirions à Paris avec le reste de l’eau de cerise et le modèle. Cela ne retarderait pas de beaucoup la construction du grand bateau, parce que le petit modèle a mis M. Marion et même mon fils Achille, dans le cas de se passer de moi pour beaucoup de choses ; mais il faudrait dans le même temps conclure un arrangement avec des fournisseurs de fonds. Cette société ne pourrait faire moins de six cent mille livres de fonds ; il faut que vous vous occupiez sérieusement de cet objet. »

Le marquis de Jouffroy ne donna pas suite à son projet de porter à Paris le modèle de