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sonnements que l’on peut faire quand on connaît l’histoire de la navigation par la vapeur ; tout se réunit pour mettre au compte du ministre de la marine Decrès et du premier consul, le refus que Fulton essuya quand il proposa au gouvernement français de lui faire hommage de la découverte de la navigation par la vapeur. Un seul document a pu être opposé à cet ensemble de preuves concordantes. C’est une lettre de quelques lignes qui aurait été écrite à M. de Champagny, ministre de l’intérieur, par Napoléon, de son camp de Boulogne, le 21 juillet 1804.

Nous avons prouvé ailleurs[1] que cette lettre n’a jamais été écrite ; que c’est un document fabriqué, et d’ailleurs, très-maladroitement fabriqué.

M. de Champagny, à qui cette lettre serait adressée en 1804, n’était pas ministre à cette époque. Le mot de citoyen ministre, qui figure dans cette épître, et qui n’était plus en usage depuis longtemps en 1804 ; l’ignorance de toutes choses qui éclate à chaque ligne, tout prouve que ce document, qui ne figure pas — et pour cause — dans la Correspondance de Napoléon Ier, est de pure invention et ne mérite pas de nous arrêter davantage.

Fulton, du reste, prit, sans trop de peine, son parti de l’échec qu’il venait d’éprouver en France. Au début de ses travaux, ce n’est pas à la France qu’il avait songé à offrir son invention ; c’était pour son pays qu’il avait travaillé et cherché. Il s’occupa donc de prendre les dispositions nécessaires pour faire adopter par l’Amérique le système de transports dont l’expérience venait de lui démontrer toute la valeur.

Livingston écrivit aux membres du Congrès de l’État de New-York, pour faire connaître les résultats qui venaient d’être obtenus à Paris. Le Congrès dressa alors un acte public, aux termes duquel le privilége exclusif de naviguer sur toutes les eaux de cet État, au moyen de la vapeur, concédé à Livingston, par le traité de 1797, était prolongé, en faveur de Livingston et Fulton, pour un espace de vingt ans, à partir de l’année 1803. On imposait seulement aux associés la condition de produire, dans l’espace de deux ans, un bateau à vapeur faisant quatre milles (7 kilomètres 400 mètres) à l’heure, contre le courant ordinaire de l’Hudson.

Dès la réception de cet acte, Livingston écrivit en Angleterre, à Boulton et Watt, pour commander une machine à vapeur, dont il donna les plans et la dimension, sans spécifier à quel objet il la destinait. On s’occupa aussitôt de construire cette machine dans les ateliers de Soho ; et Fulton, qui peu de temps après, se rendit en Angleterre, put en surveiller l’exécution.

Fulton se trouvait, en effet, sur le point de quitter la France. Son séjour à Paris, les expériences auxquelles il continuait de se livrer sur le bateau plongeur et ses divers appareils d’attaque sous-marine, excitaient à Londres, la plus vive sollicitude. On s’effrayait à l’idée de voir diriger contre la marine britannique les terribles agents de destruction que Fulton s’appliquait à perfectionner. Lord Stanhope en parla avec anxiété dans la chambre des pairs. À la suite de cette communication, il se forma à Londres une association de riches particuliers, qui se donnèrent pour mission de surveiller les travaux de Fulton.

Cette association adressa, quelques mois après, un long rapport au premier ministre, lord Sydmouth. Les faits qu’il contenait engagèrent ce ministre à attirer l’inventeur en Angleterre, afin de paralyser, s’il était possible, les effets funestes que l’on redoutait de l’emploi de ses machines infernales. On dépêcha de Londres un agent secret, qui se mit en rapport avec Fulton, et lui parla d’une récompense de 15 000 dollars en cas de succès.

  1. Exposition et histoire des principales découvertes scientifiques modernes, 6e édition, t. I, p. 290-294, in-18. Paris, 1862.