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mes dont la moitié fera voguer le vaisseau, tandis que l’autre se reposera ; encore ira-t-on lentement. Ajoutez que bien peu d’hommes sont en état de soutenir longtemps un travail continuel, surtout pendant les chaleurs. Dans les voyages de long cours, il arrive fréquemment que l’équipage est attaqué de scorbut ou d’autres maladies. D’ailleurs, il n’y a que des vaisseaux de guerre qui puissent avoir un équipage nombreux. En se servant des rames à feu, on ne sera pas obligé d’avoir tant de rameurs, dont la nourriture et les appointements monteraient fort haut.

« 2o La machine qui fera jouer les rames pourra servir à faire aller les pompes des vaisseaux, à lever l’ancre, etc., et son feu moteur à cuire les aliments, à renouveler l’air.

« 3o On donnera aux vaisseaux une vitesse proportionnelle à la grandeur de la machine qu’on emploiera.

« Après avoir donné une idée générale de mon objet, je passe aux développements qu’il demande. Je passerai ensuite au moyen d’appliquer avantageusement la force des hommes aux rames perpendiculaires.

« Comme le mécanisme et la théorie des machines à feu sont très-bien détaillés dans les ouvrages de MM. Bélidor et Désaguliers, il paraît inutile de les retracer ici. Je propose donc d’établir dans les vaisseaux des machines à feu telles à peu près que celles dont on se sert pour puiser l’eau des mines. Ces machines se procurant d’elles-mêmes tous les mouvements, deux hommes tour à tour suffisent pour les gouverner.

« Deux objections se présentent d’abord : la machine occupera beaucoup de place, et il faudra des provisions de bois ou de charbon de terre pour la faire jouer.

« Je réponds : 1o Que si l’on emploie des hommes pour faire aller des rames, ils occuperont beaucoup plus de place que la machine ; 2o qu’on doit sacrifier de petits avantages à de plus grands ; 3o que si l’on veut établir une machine dont la puissance motrice ait autant de force que celle de Frênes, c’est-à-dire 10 828 livres, il ne faudra qu’un emplacement circulaire de 10 à 12 pieds de diamètre sur autant de hauteur, pour contenir l’alambic, son fourneau et la maçonnerie ; le cylindre, n’ayant que 33 pouces de diamètre, y compris son épaisseur, et 9 pieds de hauteur, ne sera pas bien embarrassant.

« À l’égard des provisions de bois ou de charbon de terre, elles occuperont moins de place que celles qui sont nécessaires pour la nourriture d’une chiourme, qui en occuperait beaucoup elle-même. En voici la preuve. La nourriture, tant liquide que solide, qui sera consommée par 500 hommes en un jour, à 5 livres pesant pour chacun, occupe environ 36 pieds cubes, au lieu que la machine établie à Frênes ne consomme au plus, en vingt-quatre heures, que 27 à 28 pieds cubes de charbon de terre. M. Désaguliers, en parlant d’une machine qui élève l’eau à 29 pieds au-dessus d’un puits, dit qu’autant de feu environ qu’on en use dans une cheminée suffit pour mouvoir cette machine et lui faire enlever 15 tonneaux par heure.

« Négligeons les petites différences, et supposons que les aliments pour 500 hommes n’occuperont pas plus de place que le charbon de terre. On aperçoit d’abord une disproportion énorme pendant une navigation un peu longue. Par exemple, qu’un vaisseau fasse un voyage de six mois, et que durant ce temps il manque de vent pendant trente jours : voilà 500 hommes nourris inutilement pendant cinq mois, et par conséquent 5 400 pieds cubiques remplis en pure perte par les aliments liquides et solides. Il est superflu d’insister davantage sur ce sujet : il est évident que les rames à feu seront beaucoup plus avantageuses que celles des vogueurs.

« On objectera peut-être qu’il est à craindre que cette machine ne mette le feu au vaisseau. On répondra qu’il est facile de prendre des précautions qui éloignent le danger. 1o On peut se passer de maçonnerie et fortifier l’alambic contre la force de la vapeur avec des bandes de fer circulaires croisées par d’autres bandes et liées ensemble. 2o Le fourneau sera en fer, et ses pieds porteront dans un réservoir de même matière, en forme de caisse plate, qu’on remplira d’eau. 3o On pourra faire passer aussi dans des tubes pleins d’eau les contre-fiches, fourchettes et autres branches de fer nécessaires pour la solidité de la machine.

« Reste à développer la manière d’appliquer cette machine à feu à des rames perpendiculaires. Le cylindre sera placé dans l’entre-deux des ponts, entre le grand mât et le mât de misaine, et l’alambic à fond de cale, de manière pourtant qu’une partie de l’eau d’injection soit portée dans la mer par un tuyau dont l’issue sera au-dessus de la ligne de flottaison. On n’aura pas besoin d’un réservoir provisionnel pour fournir de l’eau à l’alambic ; on la tirera de la mer à l’aide d’un tuyau garni d’un robinet. Un rameau du même tuyau fournira de l’eau à une bâche, d’où la pompe refoulante la portera dans la cuvette d’injection.

« Comme les jantes cannelées du balancier ont une courbure qui a pour centre le point d’appui, les chaînes auront toujours une direction verticale au même endroit. Pour appliquer le mouvement perpendiculaire de la chaîne qui répond aux pompes aspirantes dans les machines à feu, on pourra se servir d’une roue cannelée de l’épaisseur des jantes du balancier, laquelle sera mobile autour d’un arbre dont les extrémités porteront des rames tournantes. Cette roue sera garnie de cliquets qui permettront de la faire tourner vers l’arrière du vaisseau sans que l’autre tourne, et, quand elle sera mue vers l’avant, elle fera tourner l’arbre dans le même sens.