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faction de l’eau a de quoi épouvanter les plus assurés des hommes[1]. »

La meilleure manière de reconnaître si Arago a exactement traduit la pensée de l’auteur des Éléments d’artillerie, c’est évidemment de recourir à l’ouvrage lui-même. Le passage auquel Arago fait allusion se trouve au livre III, dans lequel Flurance Rivault cherche à établir la nature des substances qui peuvent entrer dans la composition de la poudre. Voici textuellement ce passage :

« Conjecturer les ingrédiens de la bonne poudre à canon. — Il est certain que, cherchant une prompte raréfaction, il faut l’avancer par la chaleur ; car il n’y a point en la nature de plus agissante qualité. Le froid agit ; mais il resserre. Les deux autres, sécheresse et humidité, n’ont que fort peu d’action ou nous doivent plutôt servir de matière et de patient en ce dessein que d’agent. Voyons du froid s’il nous est propre. L’eau humide qui se convertit en air se raréfie, et en est la raréfaction suivie de violence. Voyez-vous ces instruments d’airain globeux et creux, qui ont un trou par lequel on verse l’eau. Les Grecs les ont nommés portes d’Éole, parce que, si vous les approchez du feu, le métal en est eschauffé, et l’eau quand et quand, laquelle peu à peu se convertit en air par l’action de la chaleur, et estant faicte rare et vent, elle sort par le trou avec force, et après ravive le feu par son souffle, qui le premier luy avoit donné estre. Il y a quelque apparence que si ce nouvel aër ne trouvoit lors issue libre par la petite porte, qu’il briseroit le vaisseau pour se donner jour : ainsi que l’humidité de la chastaigne aéréfiée par le feu, la faict esclater seulement pour se donner libre estendue. Que si la furie de cet esclat n’a d’estonnement que pour les enfans, l’effect de la raréfaction de l’eau a de quoy espouvanter les plus asseurés hommes en l’accident des tremblemens de terre. L’eau coulée ès caverses de la terre au printemps principalement et en automne, y est eschauffée, soit par les feux qu’elle y rencontre souvent, soit par les chaudes exhalaisons qui sortent des soupiraux terrestres : tant que raréfiée et convertie en aër, le lieu qui la contenoit auparavant n’est plus capable d’embrasser si longues et si larges dimensions : tellement que, pressée de s’estendre et violentée par cet hoste devenu puissant, la terre s’entr’ouvre pour luy faire jour avec un desbriz espouvantable. Il y a un million d’autres effects de cette raréfaction d’humidité, qui nous pourroyent guider à l’exécution de quelque violence. Mais nous devons y considérer qu’elle ne se fait à coup, ainsi avec le tems, et que la matière humide ne s’exhalle pas toute à la fois, mais peu à peu. Or nous cherchons de la promptitude et un effect momentané, principalement pour ce qui est de l’action du canon. Car ce n’est pas qu’èz autres artifices du feu nous ne nous servons quelques fois d’humides, quand nous en voulons faire durer la violence. Mais cela n’est pas de ce lieu. Il faut donc nous attacher à la sécheresse, et à un subject sec qui ait peu de résistance contre la chaleur, et soit amy du feu. Car l’humide lui résiste : au contraire le sec est de sa nature mesme. Or ny l’air qui est humide et chaud, ny l’eau qui est froide et humide, ne nous peuvent donner ce corps sec que nous cherchons. L’eau en est la plus incapable, tellement que toutes choses humides et froides doivent être bannies de notre poudre ; etc.[2] »

Fig. 4. — F. Bacon.

Quand on a lu ce morceau confus, empreint des idées surannées de l’ancienne physique, et tout rempli des lieux communs et des divagations qu’elle affectionne, on se demande comment Arago a pu l’honorer d’une interprétation aussi large. Rivault ne parle nullement de vapeur d’eau, comme on le lui fait dire ; il parle seulement, d’après les opinions scientifiques de son époque, de la conversion de l’eau en air. Il ne fait aucune allusion à

  1. Notice historique sur les machines à vapeur (Notices scientifiques, t. II, p. 19).
  2. Les Éléments de l’artillerie, concernant tant la théorie que la pratique du canon, par le sieur de Flurance Rivault, 1658, p. 150.