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On ne sera pas surpris, d’après les idées inexactes qui ont régné si longtemps sur les phénomènes de la vaporisation des liquides, de voir des siècles entiers s’écouler sans apporter la moindre notion sur les effets mécaniques de la vapeur. Cette circonstance explique la pénurie d’arguments et de faits dans laquelle se sont trouvés les écrivains qui ont voulu placer à une époque reculée l’origine de l’invention qui nous occupe.

Pour montrer à quelles pauvres ressources on est réduit sous ce rapport, il nous suffira de rappeler l’anecdote de l’historien byzantin Agathias, que l’on a coutume d’invoquer à cette occasion. M. Léon Lalanne, dans le travail cité plus haut, donne, d’après M. Léon Rénier, la traduction suivante de ce passage de l’ouvrage d’Agathias :

« Il y avait à Byzance un homme appelé Zénon, inscrit sur la liste des avocats, distingué d’ailleurs et très-bien avec l’empereur. Il était voisin d’Anthémius[1], au point que leurs deux maisons paraissaient n’en faire qu’une et être comprises dans les mêmes limites. À la longue, une mésintelligence éclata entre eux, soit pour une fenêtre ouverte contrairement à l’usage, soit pour un bâtiment dont la hauteur excessive interceptait le jour, soit enfin pour quelqu’une de ces nombreuses causes qui ne manquent jamais d’amener des dissensions entre très-proches voisins.

« Anthémius, ayant eu le dessous devant les tribunaux, ainsi qu’il devait s’y attendre, ayant pour adversaire un avocat et n’étant pas capable de lutter d’éloquence avec lui, imagina pour se venger le tour suivant, que lui fournit l’art qu’il cultivait.

« Zénon possédait un appartement très-élevé, très-large, très-beau et très-orné, où il avait l’habitude de recevoir ses amis et de traiter ceux qui lui étaient les plus chers. Le rez-de-chaussée de cet appartement appartenait à Anthémius, de sorte que le plancher intermédiaire servait de toit à l’un et de sol à l’autre. Anthémius fit placer dans ce rez-de-chaussée de grandes chaudières pleines d’eau, qu’il entoura extérieurement de tuyaux de cuir assez larges à leur base pour embrasser entièrement le bord des chaudières, mais diminuant ensuite de diamètre comme une trompette et se terminant dans des proportions convenables. Il fixa les bouts de ces tuyaux aux poutres et aux planches du plafond, et les y attacha avec soin ; de sorte que l’air qui y était introduit avait le passage libre pour s’élever dans l’intérieur vide des tuyaux et aller frapper le plafond à nu, dans l’endroit où il lui était permis d’arriver, et qui était entouré par le cuir, mais ne pouvait s’écouler ni s’échapper au dehors. Ayant donc fait secrètement ces préparatifs, Anthémius alluma un grand feu sous les chaudières et y produisit une grande flamme, et l’eau, s’échauffant bientôt et entrant en ébullition, il s’en éleva beaucoup de vapeur épaisse et fumeuse qui, ne pouvant s’échapper, monta dans les tuyaux et s’y élança avec d’autant plus de violence qu’elle était resserrée dans un plus étroit espace, jusqu’à ce que, frappant continuellement le plafond, elle l’ébranla tout entier, au point de faire légèrement trembler et crier les bois. Or, Zénon et ses amis furent troublés et épouvantés, et ils s’élancèrent dans la rue en criant et poussant des exclamations, et Zénon, s’étant rendu au palais de l’empereur, demandait aux personnes de sa connaissance ce qu’elles savaient du tremblement de terre, et s’il ne leur avait pas causé quelque dommage. »

D’après nos connaissances sur les propriétés de la vapeur d’eau, cette expérience, telle qu’elle est rapportée par Agathias, ne pouvait en aucune manière produire les résultats qui viennent d’être rapportés. Aussi M. de Montgéry, qui publia en 1823, dans les Annales de l’industrie, une série d’articles en vue de rechercher l’origine de la machine à vapeur dans l’antiquité, n’admet-il point que le mécanisme décrit par Agathias soit le même que celui qu’employa Anthémius :

« L’extrémité évasée des tuyaux, dit M. de Montgéry, devait être placée sous les poutres, et non au delà ; elle devait s’ouvrir tout à coup au moyen d’une soupape ou d’un robinet : alors seulement il y aurait eu une vive secousse[2]. »

    des vents. » Ces vues erronées étaient encore professées au xvie siècle. Cardan, par exemple, s’exprimait ainsi : « Vitruve apprend à faire des vases qui produisent du vent : ils sont ronds et fermés de toutes parts, à la réserve d’un seul trou qui est muni d’un tuyau très-étroit ; on les remplit d’eau et on les présente au feu ; le liquide se transforme en air, s’échappe par le tuyau, et augmente l’ardeur du brasier. » Au xviie siècle, Claude Perrault, dans sa traduction de Vitruve, reproduit cette théorie. À la même époque, l’illustre physicien anglais Boyle continuait à admettre la transformation de l’eau en air par l’action de la chaleur.

  1. Anthémius de Tralles, le plus habile architecte du temps de l’empereur Justinien, et qui construisit l’église de Sainte-Sophie.
  2. Annales de l’industrie nationale et étrangère, t. IX, p. 704.