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sont très loin d’être de banales productions d’atelier et l’expression des physionomies est fidèle, surtout chez la femme, au sentiment idéal du grand Roger.

Cette Descente de croix de Louvain n’est point la seule peinture qui perpétue en Belgique le souvenir et la gloire du chef-d’œuvre de l’Escurial. La Tête de femme en pleurs du Musée de Bruxelles (Fig. XXIII) est une excellente réplique de la sainte femme qui, dans l’œuvre originale, sanglote près de saint Jean en cachant une partie de son visage avec sa coiffe. Cette tête résume le génie dramatique de Roger van der Weyden et toute son extraordinaire puissance d’expression. La copie doit dater de la fin du XVe siècle ; la facture n’a plus la fermeté nette de la Descente de croix de Louvain, et c’est même le modelé imprécis de la main qui révèle le travail d’un copiste, oublieux déjà des techniques de nos grands ateliers « gothiques ». Enfin la Vierge aux yeux clos, au visage harmonieusement enturbanné que saint Jean et Marie Cléophas cherchent à soutenir, nous la reconnaîtrons avec ses mêmes vêtements, sa même défaillance si noblement rythmée dans l’admirable Déposition de Croix du Musée de Bruxelles attribuée à Petrus Christus (Fig. XXIX).

En 1443, le chancelier de Bourgogne, Nicolas Rolin — jadis protecteur de Jean van Eyck — dota la petite ville de Beaune, près Dijon, d’un magnifique hôpital désigné sous le nom d’Hôtel-Dieu. Conçu et construit par un architecte brabançon Jean de Visscher, l’édifice a très peu changé depuis le XVe siècle. On y conserve de nombreuses tapisseries flamandes qui ornent la célèbre cour de l’hôpital une fois par an, le jour de la Fête-Dieu. On y conserve aussi un immense polyptyque de Roger van der Weyden, composé de sept panneaux qui se fermaient autrefois en triptyque et dont les revers « désciés » ont été transportés sur toile et exposés sur une autre paroi. L’intérieur du retable représente le Jugement dernier[1]. Le Christ trône au milieu du panneau central ; à ses côtés sont les anges portant les instruments de la passion, et sous lui, entouré de chérubins sonnant de la trompette, apparaît un saint Michel géant, pesant des âmes nues dans la balance divine (Fig. XXIV). Des deux côtés, à une certaine hauteur, se trouvent à droite Marie, à gauche saint Jean ; derrière eux viennent des apôtres, des princes de l’Église, des souverains, des princesses. De la terre sortent les ressuscités ; à gauche les bienheureux sont menés au Paradis (Fig. XXV) ; à droite les damnés sont précipités dans le gouffre d’enfer[2].

  1. Cf. Le Jugement dernier, retable de l’Hôtel-Dieu de Beaune, par J.-B. Boudrot, Beaunee 1875. — Biographie nationale, A.-J. Wauters (art. Memlinc). — F. de Mely. Le Retable de Beaune, Gazette des Beaux-Arts, janvier et février 1906.
  2. L’an XI de la République on « habilla » les élus et les damnés. Fort heureusement le peintre chargé de ce travail, Bertrand Chevaux, l’exécuta à la détrempe et le nettoyage fut facile. En 1878 le retable fut envoyé à Paris pour subir une restauration qui coûta 15,790 francs et qui par conséquent fut d’importance. Nous avons la bonne fortune de pouvoir publier des reproductions montrant des parties du polyptyque avant la restauration.