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Par là Roger van der Weyden se détache de Jean van Eyck et ressuscite le grand lyrisme du XIIIe siècle. Ses figures ne sont point des portraits ; elles participent d’une vérité absolue ; leurs gestes, dictés par leurs sentiments, restent calmes et je dirais volontiers classiques. Point de violence, point de passion, mais une émotion intérieure, contenue, d’autant plus émouvante. « Ils boivent en quelque sorte leurs larmes au dedans d’eux-mêmes, a dit Karl Voll ; sie trinken gewissermassen ihre Tränen in sich binein[1]. » Avec cette œuvre, Roger van der Weyden créa un thème qui rapidement se popularisa et même se vulgarisa. Le Prado expose deux copies anciennes du tableau de l’Escurial — l’une, placée en belle lumière, est de premier ordre (Fig. XXII) ; les Musées de Berlin, de Cologne, de Liverpool, de Douai en montrent également des répliques.

L’église de Saint-Pierre de Louvain possède, elle aussi, une Descente de croix qui reproduit le chef-d’œuvre de l’Escurial avec ces différences que des volets s’ajoutent au panneau pour en faire un triptyque et que le bras transversal de la croix se développe sur toute la largeur de l’œuvre. Sur le volet de gauche une inscription flamande dit que Messire Guillaume Edelheer et son épouse Adélaïde ont fait honneur de ce tableau en l’an de Notre Seigneur 1443. D’autre part, un passage de Molanus attribue l’œuvre à Roger van der Weyden. Les documents plaident donc en faveur de l’authenticité du triptyque. Mais faut-il accorder une foi aveugle aux documents ? La Descente de croix de Saint-Pierre n’est point de Roger van der Weyden ; mais elle est d’un disciple très proche ; il se pourrait même, à notre avis, qu’elle provînt de l’atelier du maître et datât réellement de 1443. L’aspect en est très archaïque ; la facture nette, très consciencieuse, s’efforce de rappeler celle du maître en exagérant même son acuité. Les vêtements sont exécutés avec grand soin (Joseph d’Arimathie est vêtu d’une magnifique houppelande de brocart et quelques pierreries d’un dessin précis brillent de-ci de-là) ; les extrémités, très arbitrairement allongées, indiquent par la sécheresse même des contours un évident souci de facture probe. Point de repentirs et, à dire vrai, une plasticité sculpturale au point que la Vierge, avec son gros cou, sa petite bouche, son menton pointu, fait penser au plus sculpteur des peintres flamands du XVe siècle : le maître de Flémalle. Telle est cette Descente de croix où nous pourrions encore souligner le caractère populaire de certains types, le pathétique forcé du saint Jean, le coloris brillant[2]. Il se pourrait, nous le répétons, qu’elle eût été exécutée sous les yeux et la surveillance de Roger. Les portraits des donateurs Guillaume Edelheer et sa femme Adélaïde (nous ne parlons point de ceux de leurs enfants et de ceux de leurs patrons)

  1. K. Voll, op. cit., p. 56
  2. Le tableau est fendu de haut en bas vers le centre ; la couleur s’écaille dans le bas de la robe et l’on remarque des boursouflures à plusieurs endroits.