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Ces trois grandes figures (cathédrale de Saint-Bavon, Gand) dominent l’ensemble de leur vie surhumaine, et nous transportent par-delà les régions terrestres. La beauté de Marie a la même robustesse sculpturale que dans l’Annonciation de l’extérieur, mais dégagée à présent de l’émoi qui la faisait frissonner à l’approche de Gabriel ; Jean-Baptiste avec son visage infiniment compatissant, inculte et profond, est l’une des plus impressionnantes créations de l’art ; un souffle sort de ses lèvres ; des mots parlent dans ses yeux… Dieu le Père est enveloppé d’une majesté juvénile et immortelle… L’harmonie inaltérable des manteaux — rouge, bleu, vert, — qui chante et gronde sur presque toute la surface de ces panneaux supérieurs est de la plus puissante audace. Et l’on ne saurait exprimer le faste du coloris des panneaux représentant les Anges musiciens et chanteurs (Musée de Berlin), la splendeur des chapes de brocart qui enveloppent ces adolescents, beaux d’une beauté idéale, classique. Ils précèdent les anges musiciens de Luca della Robbia ; la mimique du chant et l’attention des chanteurs sont aussi bien observées et traduites par le maître flamand que par le maître toscan et ce dernier n’a rien imaginé de comparable à l’ange qui prélude à l’orgue tandis que ses compagnons attendent de faire leur entrée…

La nudité d’Adam et d’Ève, à côté de ces magnifiques figures, c’est la misère humaine à côté des splendeurs du Ciel. (Fig. XVIII.)

Ce fut un événement retentissant dans l’histoire du naturalisme que l’exécution de ces deux figures (Musée de Bruxelles). Les frères Limbourg avaient peint des nus dans les Heures de Chantilly, mais des nus mièvres, encore conventionnels. Jean van Eyck — la critique cette fois est unanime à le citer — les peignit sans réticence, sans mensonge. On dit qu’il les peignit telles parce qu’il ne trouva point de modèles professionnels ! Mais où trouva-t-il les beaux adolescents qui figurent les Anges ? Il peignit l’Homme et la Femme comme il lui convenait de les peindre, sans la moindre atténuation, la moindre addition, la moindre correction. Renonçant à la synthèse du modelé, il reproduisit l’homme avec le hâle rougeâtre de la figure, du cou, des mains, la pâleur des chairs cachées habituellement par les vêtements, avec le duvet des poils qui entourent les seins, ombrent les cuisses, avec l’indigence musculaire des bras, signe par où se manifeste en général de la déchéance physique du mâle. Il peignit une femme aux seins jeunes, au ventre déformé par la mode contemporaine (on tenait la proéminence de l’abdomen pour une suprême élégance, la femme d’Arnolfini et même la sainte Catherine du petit autel de Dresde en sont des exemples), il la montra, avec les ordinaires imperfections physiques de son sexe : omoplates saillantes, pied presque difforme, bras maigres, — défauts que dissimule la toilette, mais que le maître dévoile, sans le moindre désir d’ailleurs d’accabler ses modèles de sa sincérité.