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leur rédemption, il s’offre comme un enseignement perpétuel d’ineffable bonté et de sacrifice de soi à ceux que le Seigneur a désignés pour établir son règne ici-bas. Le thème symbolique du chef-d’œuvre est fourni par l’Apocalypse qui prophétise la victoire de l’Agneau et le triomphe de l’Église, et complété par les textes de la Fête de tous les saints. Mais pour la disposition « scénique » les peintres ont interprété une tradition populaire relative à l’institution de la Toussaint et suivant laquelle un veilleur de Saint-Pierre à Rome vit en songe le patron de la basilique qui lui montra l’Éternel entouré d’un chœur d’anges, ayant à sa droite la Vierge couronnée, à sa gauche saint Jean-Baptiste, et recevant l’hommage des vierges, des patriarches, des saints, des chevaliers, et des gens du peuple. Tout l’intérieur du Retable est dans ce songe… sauf l’Agneau, et c’est en utilisant ce récit populaire sur lequel M. Max Dvorak a tout récemment attiré l’attention et qui est consigné dans la Légende dorée, que les frères van Eyck ont réussi à simplifier, ou du moins à clarifier le symbole, à lui donner une forme merveilleusement plastique, à personnifier toutes les idées chrétiennes autour de l’Agneau rédempteur. Et c’est ainsi que la religion de la foule parle à travers l’aristocratique chef-d’œuvre.

Dieu le Père (Fig. XX) est assis, la tête couronnée de la tiare papale. Une éclatante bille de chape, chargée de cabochons et de perles, agrafe son manteau rouge galonné d’inscriptions, de filigranes, de pierres, de perles. Le sceptre de cristal de roche qu’il tient de la main gauche excitait jadis l’admiration de tous les peintres : à lui seul, dit van Mander, il coûterait un mois de travail. De la dextre, le Roi des Rois bénit les fidèles, tandis qu’à ses pieds étincelle une couronne votive, hommage sans doute des royautés terrestres. — La Vierge (Fig. XX) est à la droite du Père, enveloppée d’un manteau bleu que garnit une bande de vermeil semée de cabochons et de perles ; sur ses cheveux dénoués est posé un diadème constellé de pierres énormes, garni d’une merveilleuse émaillerie florale et stellaire : lys, roses, clochettes, étoiles. « Et combien Marie nous montre un doux visage, s’écrie Lucas de Heere, dans une ode composée à la mémoire des frères van Eyck ; il semble que l’on voit ses lèvres prononcer les mots qu’elle lit ! Et quelle perfection dans sa couronne et sa parure ! » Une candeur divine enveloppe en effet son visage ; et la joaillerie qui ruisselle sur le « Vase immaculé de la grâce divine » ne fait qu’en rehausser la pureté. — Saint Jean-Baptiste (Fig. XX), au visage âpre et doux, encadré d’une chevelure et d’une barbe épaisses, porte un manteau vert bordé d’une joaillerie semblable à celle de la Vierge. Sa droite, en se levant vers Dieu, écarte le vêtement glorieux et laisse apercevoir le cilice, plus glorieux encore. De la main gauche il tourne les feuillets d’un missel et sous le manteau apparaît un pied nu couvert de la poussière du désert.