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voirs de mère, veillé sur votre enfance avec tant de sollicitude, donné à votre éducation des soins si assidus, n’ai-je enfin travaillé tant d’années à vous assurer une honnête existence, en me privant moi-même des commodités de la vie, que pour perdre l’une de vous, toutes deux peut-être, d’une manière si déplorable ?

— En vérité, madame, s’écria Jones les larmes aux yeux, je vous plains de toute mon ame.

— Ô M. Jones ! vous ne pouvez, malgré la bonté de votre cœur, vous faire une idée de ce que je souffre. Où trouver une fille aussi tendre, aussi soumise que ma pauvre Nancy, Nancy l’idole de mon ame, les délices de mes yeux, l’orgueil de mon cœur ? Oh ! j’en étois trop fière, et ma folle ambition, née de sa beauté, a causé sa perte. Hélas ! je voyois avec plaisir le penchant de ce jeune homme pour elle, je lui supposois des intentions louables, et l’idée d’une union si avantageuse flattoit ma vanité. Mille fois en ma présence, souvent même devant vous, il a nourri, encouragé de ces espérances par les discours remplis de passion et de désintéressement, qu’il sembloit adresser à Nancy ; et moi, comme elle, je les croyois sincères. Pouvois-je m’imaginer que ce n’étoient que des piéges tendus à l’innocence de ma fille, et préparés pour notre ruine commune ? »