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tite vérole. Une dame daigna prendre la seconde, par charité, dit-elle, pour lui tenir compagnie. Sa mère avoit été servante chez mon aïeule ; mais ayant hérité de son père de grands biens acquis par l’usure, elle avoit épousé un homme riche et de qualité. Cette dame accabla ma sœur des plus durs traitements, lui rappelant sans cesse avec aigreur sa naissance et sa pauvreté, la traitant par dérision de demoiselle ; enfin elle l’abreuva de tant d’amertume, que la malheureuse ne tarda pas à mourir aussi. La fortune se montra moins rigoureuse envers moi. Dans l’année qui suivit la mort de mon père, j’épousai un ministre qui m’aimoit depuis long-temps, et qu’on accueilloit fort mal chez nous, pour cette raison ; car mon pauvre père, sans avoir un schelling à nous donner, nous élevoit en filles de condition ; il nous considéroit et vouloit que nous nous considérassions nous-mêmes, comme si nous avions été de riches héritières. Mon amant oublia tous les mauvais traitements qu’il avoit reçus de lui. Dès qu’il me vit libre, il me demanda ma main avec ardeur ; et moi qui l’avois toujours aimé, et qui l’estimois maintenant plus que jamais, je me rendis à ses vœux. Je passai cinq années avec lui dans un bonheur parfait ; mais hélas ! ô cruelle, cruelle fortune, tu nous séparas pour jamais ; tu ravis à mon amour le meilleur des époux, et à