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Jones fit sans doute réflexion qu’une femme valoit mieux que rien, et Molly, de son côté, calcula que deux hommes valoient mieux qu’un.

N’oublions pas d’ailleurs, que notre ami jouissoit alors très-imparfaitement de cette merveilleuse faculté de l’ame, qui donne aux gens sobres tant d’avantage pour maîtriser leurs passions, et pour résister à l’attrait des plaisirs défendus. Le vin lui en avoit presque ôté l’usage, il étoit dans un tel état, que si la sagesse en personne, se fût avisée de vouloir le gourmander, il auroit pu lui faire la réponse que fit jadis un certain Cléostrate à un sot, qui lui demandoit s’il n’étoit pas honteux d’être ivre : « Et vous, n’êtes-vous pas honteux de donner des conseils à un homme ivre ? » Dans le fait, quoique l’ivresse ne soit pas une excuse valable au tribunal de la justice, elle en est une suffisante au tribunal de la conscience. Aussi Aristote, en faisant l’éloge de la loi de Pittacus qui punit d’une double peine les crimes commis par les gens ivres, convient qu’il entre dans cette loi plus de politique que de justice. Or, de toutes les fautes où peut entraîner l’ivresse, celle que commit M. Jones est une des plus graciables. Nous pourrions étaler à ce sujet une abondante érudition, si nous n’étions retenu par la crainte d’ennuyer le lecteur, sans lui rien apprendre. Cette considération nous engage à gar-