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Cette découverte dissipa tous les scrupules et toutes les inquiétudes de Jones, par rapport à Molly. Mais s’il se sentoit délivré d’un tourment, il en éprouvoit un autre des plus cruels. Depuis que Molly étoit bannie de son cœur, Sophie en avoit pris une entière possession. Il l’aimoit avec idolâtrie, il voyoit clairement qu’il en étoit aimé ; cependant une conviction si flatteuse n’adoucissoit en rien ses mortelles angoisses. Obligé de renoncer à l’espoir de vaincre jamais la résistance du père, il ne pouvoit se résoudre à tenter la conquête de la fille, par des moyens honteux ou perfides.

L’affront qu’il feroit ainsi à M. Western, le chagrin dont il accableroit M. Allworthy, s’offroient sans cesse à sa pensée, et ne lui laissoient de repos ni le jour, ni la nuit. Sa vie étoit un combat continuel entre l’amour et l’honneur, qui tour à tour triomphoient dans son ame. Souvent, en l’absence de Sophie, il projetoit de ne plus la voir, de quitter la maison de son père adoptif ; puis de retour auprès d’elle, il oublioit toutes ses résolutions, et n’en formoit plus qu’une, celle de l’obtenir au péril de sa vie, et par le sacrifice même de son honneur, qui lui étoit cent fois plus cher.

Cette lutte intérieure produisit en lui un changement visible. Il perdit sa vivacité naturelle et