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M. Allworthy, il est probable qu’elle auroit fait peu de tort au garde-chasse dans son esprit ; mais il n’est pas de zèle plus aveugle que celui qu’inspire un amour excessif de la justice. M. Blifil avoit oublié l’époque du délit ; il en exagéra aussi les circonstances : il dit que Georges avoit tué des lièvres, et l’addition d’une simple lettre dénatura le fait. La vérité auroit pu se découvrir plus tard, si Blifil n’avoit pris la précaution perfide d’exiger de son oncle le secret, avant de lui conter la chose. De cette façon le malheureux garde fut condamné, sans pouvoir se défendre. Il avoit tué le lièvre, il existoit une plainte contre lui. C’étoient deux faits certains, M. Allworthy n’éleva point de doutes sur le reste.

La joie des pauvres gens fut de courte durée. Le lendemain matin, M. Allworthy annonça qu’il avoit de nouveaux et graves sujets de mécontentement contre Black Georges, et sans s’expliquer davantage, il défendit à Tom de lui parler désormais en sa faveur. « J’aurai soin, ajouta-t-il, de donner du pain à sa famille. Quant à cet incorrigible vaurien, je l’abandonne à la rigueur des lois. »

Tom, qui n’avoit pas le moindre soupçon de la perfidie de Blifil, ne put deviner ce qui excitoit la colère de M. Allworthy. Toutefois, comme aucun obstacle n’étoit capable de rebuter son amitié