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avoit employé le prix de la même manière que celui du cheval. M. Blifil, quoique déjà possesseur d’une bible pareille, l’avoit achetée, tant par amitié pour Tom que par respect pour le livre, ne voulant point le laisser passer à vil prix dans des mains étrangères. Il profita donc lui-même du bon marché ; car c’étoit un garçon avisé, et si économe, qu’il entassoit, sou sur sou, tout l’argent que lui donnoit M. Allworthy.

Il y a, dit-on, des gens qui ne peuvent lire que dans leurs propres livres. M. Blifil ne leur ressembloit pas. Dès qu’il eut en sa possession la bible de Tom, il n’en ouvrit plus d’autre. Il affectoit même de l’avoir sans cesse entre les mains. Or, comme il consultoit souvent M. Thwackum sur les passages difficiles, le pédagogue aperçut par malheur le nom de Tom écrit en plusieurs endroits du livre. Cette découverte amena des questions qui obligèrent M. Blifil à révéler le mystère.

M. Thwackum jura qu’un tel sacrilége ne demeureroit pas impuni : en conséquence, il procéda sans délai à la fustigation, et courut après dénoncer à M. Allworthy ce crime monstrueux, comme il l’appeloit, fulminant contre Tom, et le comparant aux acheteurs et aux vendeurs que Jésus-Christ chassa du temple.

Square vit le fait sous un jour différent. Selon lui, il n’y avoit pas plus de mal à vendre un livre,