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qu’au lieu de la louer comme elle s’y attendait, il détournait la conversation.

Le jour du concert, elle avait cru qu’il obéissait à un sentiment ombrageux assez compréhensible, en la voyant entourée, alors qu’il espérait la trouver seule. Mais maintenant, il lui semblait que cette impression devait s’effacer. Elle déclinait cependant toute invitation et n’allait plus jamais où l’on jouait son œuvre. Elle était contente de pouvoir le dire à Luc, mais lui, retenait simplement qu’on la classait comme un auteur et qu’elle se laisserait influencer par l’ambition.

Sylviane était trop intelligente pour ne pas deviner ce qui s’agitait dans le cœur de son fiancé, mais elle ne savait comment effacer ce qui était fait.

Si elle avait pu prévoir le présent, elle aurait tranquillement végété avec insouciance, mais son cœur se tourmentant sans arrêt dans l’angoisse, elle ne pouvait que demander une pâture pour son esprit. Elle était si enchantée d’avoir réussi qu’elle ne comprenait pas qu’on pût lui en faire un grief.

Un jour, elle alla annoncer la date de son mariage à Madame Bullot :

— Chère Madame, ce sera dans un mois, le 10 décembre.

— J’en suis contente, ma chère enfant, et Luc que je n’ai pas vu, ces temps-ci, doit être dans le ravissement.

— Heu ! chère Madame, Luc me préoccupe. Je le croyais plus gai, et beaucoup plus moderne. Je l’aime tendrement, mais pourquoi m’en veut-il autant parce que je compose ?

— Ma chérie, ceci est insondable. Il y a des hommes qui préfèrent les femmes laides, comme Louis Dormont, et d’autres les sottes, comme Francis Balor. D’autres aiment une femme belle et intelligente, comme Luc, mais il faudrait que cette intelligence ne servît que pour leur plaire. J’avoue que je trouve cela bien arbitraire, mais