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prudence rocaleux

tranquille, on ne l’est jamais… les tourments, les tracas, ce sont les verges de l’existence.

Sur ce, Prudence retourna vers ses fourneaux et Mme Dilaret fut livrée à sa solitude. Elle n’était pas du tout satisfaite de la perspective que lui ouvrait sa domestique. Qu’allait entreprendre cette femme toute de primesaut, qui ne s’apercevait d’aucune différence entre les personnes et les choses, qui suivait son soi-disant instinct si sûr, toujours en défaut. Mme Dilaret pensait sérieusement à la renvoyer, avant qu’il fût trop tard, tellement elle craignait que quelque souci ne survînt pour son mari.

C’était un magistrat, Prudence l’oubliait, et chacun, dans la maison, était tenu à une correction absolue, à des manières discrètes, et il ne fallait pas qu’une domestique maladroite prît des initiatives qui jetteraient un discrédit sur la dignité d’un juge.

Mme Dilaret, cependant, ne voulut pas révéler le projet de Prudence à son mari. Elle se dit qu’elle grossissait, sans nul doute, les intentions de cette écervelée, qui serait arrêtée tout naturellement par les difficultés.

Prudence, elle, dans sa cuisine, pensait moins à la recherche de l’assassin qu’à l’emploi de ses 100 000 francs. Elle projetait d’abandonner tout de suite son service, de s’acheter une maison à la campagne, d’y vivre des jours dorés entre un chien, un chat, des lapins et des poules. Elle ambitionnait aussi une chèvre pour le lait et un porc pour les jambons.

Quand elle se réveillait de ses beaux rêves, Perrette comme devant, elle tressaillait en murmurant :

— Ce n’est pas tout ça, mais il faut gagner ton argent, ma belle. Cet après-midi, je commence… faut pas que je m’amuse… Ce soir,