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prudence rocaleux

comme une folle. C’te femme qui est habituée au sang qui coule de ses bêtes, ne gardait pas plus de sang-froid qu’une mouche, sous prétexte qu’il y en avait quelques gouttes sur le front de son petiot. Pendant qu’elle le pansait arrive un homme qui me dit : « J’ viens chercher mes quat’ gigots, la patronne n’est pas là ? — Non, que je réponds, elle lave la plaie de son fils. — Bon ! qu’y m’ fait… j’ vas prendre mes gigots. » Il décroche les morceaux et file. Trois minutes après, la bouchère revient : « Ah ! là ! là ! quel tracas que ces gones, qu’elle crie ; enfin, ce ne sera rien… Qu’est-ce que vous désirez, Mâme Prudence ? Ce beau petit bout de faux filet ? » Elle va pour prendre le morceau, et elle crie : « Où que sont mes gigots ? — Mais, que je réponds, c’est un client qui est venu les chercher ! — Quoi ! qu’elle me redit, un homme est venu et vous l’avez laissé prendre ma viande ? — Que vouliez-vous que je fasse pour l’empêcher ? Je ne suis pas au courant de vos affaires ! — Vous êtes plus sotte qu’une bourrique ! — Eh ! là ! faites attention à ce que vous dites ! Je ne suis pas une cliente à recevoir des injures. — Ma cliente, ma cliente, je ne vous connais guère après tout ! » Elle se montait, Madame, c’était pire que du lait sur le feu ! et elle m’a lancé : « Qui me dit que vous n’êtes pas complice et que vous n’avez pas fait tomber mon gas exprès ? » Ah ! Ma dame, j’ai cru que j’allais avoir une attaque ! Mon sang a tourné autour de mon cœur, et j’ai vu de toutes les couleurs. Moi, une voleuse, Madame peut s’imaginer combien j’étais malheureuse ! les pratiques entraient, et, à chacune, la bouchère racontait l’histoire. Des femmes prenaient mon parti, et d’autres ne soufflaient mot. Sur ces parlotes, le boucher est rentré, et lui n’a dit ni une ni deux,