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prudence rocaleux

— Je me demandais si vous composiez une poésie ?

— Ah ! bon ! je comprends. Je ne savais pas que les poésies s’appelaient aussi des vers… C’est un bien vilain nom qu’on leur donne là. Si on disait ça dans un discours de noces, ce serait bien fâcheux… Par exemple, « la mariée a des vers plein le cœur »… Vous voyez la tête du marié ? tandis que si on annonce : « la mariée a de la poésie plein le cœur », not’ marié est tout réjoui… Ah ! c’est qu’il faut savoir « causer comme il faut », quand on veut s’en mêler.

Prudence se redressa.

— Oh ! dit Mme Dilaret, vous ressemblez à un coq qui vient de trouver une graine.

— Ah ! Madame peut me croire ! je trouve bien d’autres choses !

Sur ces paroles sibyllines. Prudence atteignit une marmite qu’elle fourbit avec ostentation.

Mme Dilaret n’eut plus qu’à quitter la place.

Pendant combien de temps Prudence frotta-t-elle au même endroit bien net son outil de ménage, d’un mouvement berceur ? Elle ne le sut pas. Elle rêvait.

Elle essayerait de découvrir cette jeune fille, qui n’était après tout pas plus peinte que les autres. Puis, ses boucles étaient sans doute naturelles. Elle en avait bien, elle, dans son jeune temps, quand les coiffeurs pour dames existaient à peine. Son visage était gracieux à cette petite, et elle ne portait pas la rancune sur sa figure. Allons ! tout irait à souhait, et il était rare qu’elle se trompât dans ses pressentiments.

Elle se surprit à chanter. Sa voix était fausse, mais bruyante. Elle appuyait beaucoup sur les passages qu’elle aimait, et il en résul-