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prudence rocaleux

— Qu’avez-vous donc fait ?

— Je me calme un peu, et je vais raconter à Madame ; mais faut d’abord que je prenne quelque chose pour empêcher mon cœur de galoper à la mort.

Sur cette phrase, Prudence prit un doigt de vin, le sucra et le but avec lenteur.

— Il y a des restrictions, c’est vrai ; mais y n’ faut pas se tuer sous prétexte qu’on ne peut plus se sucrer ! À quoi que cela m’avancera d’être morte à côté d’un paquet de sucre ?

Mme Dilaret regardait sa servante qui dégustait son vin sans se presser. Agacée, elle dit :

— Vous savez que j’attends, Prudence ?

— Moi aussi, Madame ; vous n’avez pas de battements de cœur, vous n’avez pas eu d’émotion… Vous venez de vous lever… vous êtes fraîche comme la rose, vous pouvez patienter. Moi, j’ai fait des courses tuantes, j’ai porté un filet lourd et j’ai été insultée.

— Oh !

Le regard de Prudence était fulgurant.

— Eh bien ! racontez-moi cette aventure…

— Voilà, j’y arrive… J’étais chez l’épicier. J’attendais mon tour depuis une demi-heure, et c’est pas fait pour vous adoucir les nerfs. Rester debout, ne connaître personne pour échanger des remarques qui font passer le temps ; c’est pas gai ! Je piétinais sur mes pauvres pieds, parce que, je le dis bien haut, des pieds de domestique, c’est plus fatigué que des pieds de dame.

Mme Dilaret ne riposta pas, voulant laisser Prudence arriver au fait ; mais celle-ci prenait le chemin des écoliers, soit qu’elle voulût retarder l’aveu, soit qu’elle voulût ménager ses effets.

Cette lenteur impatienta de nouveau sa patronne qui répéta :