Page:Fiel - Prudence Rocaleux, 1945.pdf/20

Cette page a été validée par deux contributeurs.
22
prudence rocaleux

heureux huit jours. Alors, posément, Madame m’a ordonné de rentrer dans ma cuisine et de préparer un bon dîner pour le soir même, parce que les fiancés devaient venir ! Avant de passer la porte, j’ai encore répété ce que j’avais sur le cœur… Que cette demoiselle, ne se croyant pas observée, avait laissé sa figure se figer dans ses défauts. Madame m’a dit que j’étais somnambule ou autre chose, je ne sais plus, et que je n’avais à m’occuper que de mon menu. J’ai quitté Madame le cœur ulcéré, à ce point que j’en avais mal à tous les nerfs. J’ai ragé toute la journée. Quand la belle est arrivée, ça a été des sourires et des yeux à cuire le diable. Je me suis dit : « Je lui flanquerai de la sauce sur sa robe… » Et j’ai fait comme je l’avais projeté. Ah ! si Madame avait vu sa tête ! un serpent dressé ! « Maladroite ! » qu’elle a crié tout haut ; puis, elle est venue avec moi dans le cabinet de toilette, et j’en ai entendu ! Que je lui payerais sa robe, que je serais renvoyée dès qu’elle ferait partie de la famille. Qu’elle ne comprenait pas qu’on me gardait, que j’avais une vraie tête de voleuse… Une litanie, quoi ! Je ne répondais rien parce que je m’attendais à tout cela. Je plaignais seulement le bon petit Jean qui a un cœur d’or, et qui allait s’affubler de cette chipie pour toute sa vie. Quand nous avons été seules, avec Madame, je lui ai raconté la scène. Elle n’en revenait pas, d’autant plus que cette tache pouvait très bien être cachée sous un pli. Ma pauvre Madame avait commencé par me dire : « Vous ne pensiez donc pas à ce que vous faisiez, Prudence ? — Mais si, que j’avais répondu, je l’ai fait exprès ! » Et je me suis expliquée. Madame m’a admirée, pas tout haut, non, parce qu’elle restait toujours sur son quant-