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mais elle ne s’attendait pas à ce que sa servante, arrivée du matin même, s’occupât déjà des affaires intimes de la famille. Sa première pensée fut de signifier à Prudence qu’elle n’avait pas à se mêler de cette question. Mais elle savait que les domestiques parlent de leurs maîtres, et que le hasard était ironique. Si, justement, quelque mère ayant des vues se documentait auprès de la servante ?

Entre un achat de poireaux et de carottes, il est facile d’insinuer :

— Votre jeune Monsieur est difficile ? il fume beaucoup ? il rentre tard ? il est coléreux ? Votre patronne est agréable en famille ?

Or, Mme Dilaret ne voulait pas que l’on parlât mal d’elle, afin que les questionneuses ne disent pas d’avance qu’elle serait une belle-mère insupportable. Dans la vie, il faut grouper ses chances. Pour le moment, Mme Dilaret était une mère enviée, et les jeunes filles à marier lui envoyaient leurs plus doux sourires. Elle savait qui ces sourires visaient ; mais, pour l’instant, elle en bénéficiait. Quand son fils aurait choisi, toutes les délaissées ne la ménageraient plus.

La réflexion de Prudence remettait devant son esprit ces questions brûlantes qu’elle écartait le plus possible.

Elle répondit avec circonspection :

— Je ne demande pas mieux. J’ai hâte de devenir grand’mère, mais mon avis est qu’il ne faut pas forcer les garçons à se créer un foyer, l’idée lui en viendra…

— Je me permets de ne pas être d’accord avec Madame sur cette affaire. Un garçon, ça ressemble à une crêpe : on retourne ça comme on veut… houp ! à l’endroit ! houp ! à l’envers ! si une de ces dames, hum !