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prudence rocaleux

en criant : « J’ suis sa sœur, j’ vas le lui porter. » Et la v’là qui part, sans que je puisse seulement crier : Ouf ! Qu’est-ce qu’on aurait pu faire à ma place ? Je n’ai eu le temps de rien voir ! C’te femme est-elle brune ou blonde ? Je ne le dirai pas, vu que je n’en sais rien. Une supposition que j’aurais retenu l’enfant, nous l’aurions écartelé, c’te voleuse et moi ! Valait mieux le lâcher… on a plus de chances de le retrouver entier…

Bien des gens trouvaient matière à rire dans ce récit, dont le fond était plutôt cruel.

La mère hurlait toujours en se tordant les mains et en regardant de tous les côtés avec des yeux d’épouvante.

Un agent survint, ce qui rendit Prudence plus prolixe.

— Ne croyez pas que je soye complice, Monsieur le commissaire ! s’écria-t-elle… J’étais là, tranquille sur ce banc, quand la mère m’a forcée à tenir son enfant pour regarder les moineaux qui tendaient le bec…

— Elle est folle, cette vieille, cria un gamin mal élevé…

— Vous vous expliquerez au poste, allons, venez !…

— Je ne peux pas, faut que j’ rentre pour mon dîner !

Il y eut des rires parmi les curieux. La mère questionnait autour d’elle en réclamant avec des gestes d’hallucinée. Elle virait sur place, et ses bras s’élevaient et s’abaissaient dans de grands mouvements tragiques… Ses cheveux dénoués flottaient sur ses épaules et, de temps à autre, elle jetait un cri qui donnait le frisson.

Des femmes pleuraient.

Prudence l’interpella :

— C’est après c’te voleuse que vous devriez courir au lieu de vous mouver sur place ! J’