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temps à mes patrons ; puis, pour tout dire, j’avais une amie qui venait me voir quéquefois ce jour-là, et comme il est juste, je lui rendais sa visite…

— Oui, c’est vrai, quand on est tenu, ce n’est pas commode pour sortir… Moi aussi, dans mon temps, j’étais chez les autres, mais maintenant, j’ suis trop vieille… J’ai mon chez-moi qui est une petite chambre… et si le cœur vous en dit, on pourra parfois causer un peu…

— C’est pas de refus ! vous remplacerez mon amie qui est partie.

Prudence était enchantée. Elle apprit que sa pieuse compagne s’appelait Mlle Parate, et qu’elle était la tante d’un agent de police.

Quand elles eurent terminé leurs dévotions, elles allèrent sur la terrasse pour contempler le paysage.

— Je ne manque jamais de venir là, dit Mlle Parate ; on se met de l’air plein les poumons et on en a pour sept jours… Nous avons de la chance aujourd’hui… On voit le soleil qui se couche derrière les collines de Sainte-Foy. Je m’amuse à compter les dimanches où il disparaît, tout beau comme ce soir, et il me semble que je serai plus gaie dans ma petite vie, quand je le vois, majestueux, pire qu’un roi…

Prudence écoutait, fort intéressée, les paroles simples de cette femme inconnue. Voulant être au niveau de l’admiration de sa compagne, elle murmura :

— Moi, ce qui me rend toute chose, c’est de voir tous ces ponts… C’te Rhône et cette Saône qui courent dans c’te ville me font l’effet de deux bras… Il me semble qu’ils la serrent et qu’ils lui disent : « Ma fille, nous te tenons… et si ça nous plaît de déborder, t’aurais rien à dire… nous arroserons tes rues,