Page:Fiel - Prudence Rocaleux, 1945.pdf/132

Cette page a été validée par deux contributeurs.
134
PRUDENCE ROCALEUX

perds beaucoup d’argent, mais j’en dépenserais davantage aussi…

— Et puis, vous ne seriez pas venue à la maison, ce qui aurait été bien regrettable pour nous.

— Vous êtes un bon petit cœur… Il est certain que je fais du bien ici… Je n’ dirai pas de mal de celle qui était avant moi, mais j’ peux dire qu’elle était genre pourceau…

— Eh ! mais, ce n’est pas du mal, cela ?

— Oh ! non, M’sieu, quand on dit la vérité, ce n’est pas un péché… Où serait la différence des bons et des mauvais, si on les mettait tous sous la même étiquette, sous prétexte d’être charitable ? Vot’ papa, qu’est-ce qu’il fait dans sa justice ? Y punit les méchants… Je n’ suis pas un juge, mais je n’ suis pas plus bête…

Sur ce commentaire que « M’sieu Jacques » estima savoureux, il quitta Prudence, en lui recommandant de bien soigner l’entremets.

— N’ayez pas peur ! On est rationné, c’est vrai ! mais vous l’aurez, vot’ plat sucré, M’sieu Jacques !

L’après-midi, Prudence prit le chemin de Fourvière. Tout lui parut riant. Dans le funiculaire, elle parla à sa voisine, qu’elle avait heurtée un peu fort, quand le wagon s’était mis en marche.

Faites excuse, Madame… mais ça part tout d’un coup, et comme ça grimpe, on se culbute… et on a l’air mal polie… mais j’vas tenir le pieu, et je serai solide…

— Y a pas de mal, Madame.

— Vous venez souvent à Fourvière. Madame ?

— Tous les dimanches… Ah ! si je ne montais pas ici, je serais malheureuse toute la semaine.

— Moi, si j’ pouvais, je monterais plus souvent, mais j’ suis en place, et je dois mon