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prudence rocaleux

sera ni l’hiver ni l’été, donc c’est un bon moment pour se rendre compte d’un pays. Maintenant, je vais essayer de bien dormir, comme me l’a conseillé M’sieu Jacques.

Le lendemain, Prudence était revenue à des sentiments plus animés. De nouveau, elle monologuait comme si elle se rattrapait de son mutisme. Elle ne se découvrait nulle raison spéciale pour avoir traversé une crise de marasme et elle se disait :

— Les hommes et les femmes sont un peu lunatiques ; on est plus gai quand la lune est ronde et, à mesure qu’elle décroît, on perd un peu de sa force. La pleine lune a l’air d’une grosse réjouie ; mais le croissant, quelle figure !

Elle sortit pour parcourir le marché, critiqua, marchanda, se querella avec les vendeurs et lança des quolibets. Elle se montrait tout à fait en forme.

Vingt fois, elle aperçut l’assassin qui se faufilait entre les groupes, et, plus de cent fois, elle entrevit la « jolie jeune fille » qui achetait des denrées avec un air de reine. Elle pensa :

— Je ne savais pas encore qu’il y avait autant de belles femmes à Lyon.

Quand elle revint chez sa patronne, elle constata cependant qu’elle rentrait bredouille.

— C’est pas commode de trouver deux personnes dans une foule. Tous les hommes aujourd’hui avaient presque tous une tête d’assassin, et toutes les femmes m’ont paru belles. Comment démêler quéque chose dans tout ça ? J’ vas aller parler de mes achats à Madame, parce qu’y a des choses à changer dans le menu…

— Me v’là revenue. Madame a bien dormi ? La nuit était fraîche, alors on se sent mieux ; les chaleurs vont être finies, et on sera plus