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prudence rocaleux

sont pas prévoyants en vous laissant fille unique ; mais ça ne sert à rien de regretter. Pour en revenir au monsieur tué, c’est tout de même une drôle d’histoire. V’là un pauvre homme dans son lit, avec une balle dans la tête, comme si c’était le diable lui-même qui l’avait tirée… et puis, frurrrt ! personne n’y voit clair ! C’est-y pas drôle ?

— C’est extraordinaire, en effet !

— La pauvre Julie en a les nerfs malades de regarder défiler toute la police dans la maison… aussi elle hâte son départ. Elle ne sait plus quoi leur répondre à ces curieux. Et cela me donne idée : elle m’a invitée dans son patelin, c’te bonne fille, et si Madame veut me le permettre, j’irais passer une huitaine dans c’te village. Et si je peux m’y habituer, j’accepterais peut-être l’offre de Madame pour le prochain printemps. Oh ! c’est pas une décision que je prends ! Non ! c’est la campagne à l’essai. Je verrai si je peux causer avec les paysans et me plaire en compagnie des animaux. J’ai un peu peur des vaches, mais je ne serai pas forcée de les traire. Si tout ce silence ne m’effraye pas trop, je me tâterai. Ce qui m’ennuie, c’est que je me sentirai trop vivre.

— Comment cela ?

— C’est difficile à expliquer à Madame. Je vais essayer tout de même. En ville, y a du bruit, on ne s’entend pas respirer… On va, on vient, dans le fracas des autobus ; mais à la campagne ! cette ouate dans laquelle on marche… où l’on perçoit même le cuicui d’un jeune moineau, et où, la nuit, on est réveillé par l’épaisseur du silence… Moi, Madame, ça ne me repose pas ; je ne respire plus, et il me semble que je descends dans un trou. Le jour, ça va à peu près… le jardin est là, le soleil, les fleurs ; mais l’hiver ! C’est