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m’adonnerai à mes traductions grecques et latines. Nous marierons notre fille et nous vivrons de beaux jours. Calmez-vous, chère amie… Si Aubrine ne plaît pas à son mari comme elle est, il la formera à son gré !

— S’il le peut !

Mme Vital manquait de confiance. Naturellement, elle se souvenait de sa jeunesse, dont les heures étaient remplies par la musique, la peinture et une variété d’ouvrages. Pas un travail n’était sorti des mains d’Aubrine, à part une tapisserie grande comme la main et qui n’avait même pas été achevée.

Le piano, il n’en fallait pas parler, il y avait la radio. Quant à la peinture, ce n’était pas la peine de s’encombrer de croûtes. On en voyait assez le long des murs, exposées par des rapins faméliques.

Aubrine trouvait que ne rien faire était ce qu’il y avait de plus rationnel. Vivre selon l’heure, au caprice de son inspiration.

Pour le moment, elle allait passer quelques instants avec Denise Rillat.

L’air était pur, les pavés secs. Tout le monde semblait s’être donné le mot pour respirer dehors. La rue était bariolée, des femmes ayant revêtu leurs toilettes claires. L’ensemble était pittoresque et gai.

Aubrine portait un tailleur beige avec une blouse bleu pâle. Elle redressait la taille et faisait claquer l’asphalte d’un pas assuré et fier.

Elle retrouva son amie dans un salon de thé.

Denise Rillat était blonde et tout aussi élégante qu’Aubrine. Elles mettaient leur beauté en valeur et en les regardant passer on ne pouvait que les admirer. Elles adoptaient un air détaché qui les situait tout de suite dans un monde oisif. La sobriété de leurs gestes, la réserve de leurs paroles, montraient leur éducation.

— Maman est désolée de ma vie, dit Aubrine. Elle me traite d’inutile et me reproche le vide de mes journées. L’ennuyeux, c’est que je ne me sens aucun désir de changer.

— Nos mères étant amies, j’entends les mêmes doléances, mais l’essentiel pour moi, est que cela me plaise ainsi. En supposant que j’aille visiter quelques malades, quel bien en retirerai-je ? Un malaise, à coup sûr. Mes principes sont ceux-ci : tant qu’on peut éviter les occasions de voir des misères, il faut s’y tenir…

— Parfaitement raisonné ! et alors même que nous aurions un ouvrage dans les mains, à quoi cela servirait-il ? On voit de si belles choses dans les vitrines, fabriquées par celles qui en ont besoin…