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homme épatant. On ne dirait pas un manœuvre ; il est fin, poli, aimable, avec de beaux yeux. Il me semble que j’ai fait impression sur lui.

— Tu vas faire une victime…, dit M. Vital.

— Que c’est ennuyeux ! s’écria sa femme.

— Pourquoi ? Parce que je plais à un jeune homme ?

— Non… mais c’est gênant de se fourvoyer… Ce garçon peut nourrir un espoir ridicule… Il ne faudra plus aller chez Mme Ritard…

— Je ne comprends pas vos idées, répondit Aubrine avec feu… Je suis devenue pauvre et ouvrière et vous voudriez que je dédaigne un brave cœur qui pourrait m’aimer et m’épouser…

— Seigneur ! clama Mme Vital effondrée.

— Pourquoi cette indignation ? Je parle avec logique… Souvenez-vous que je ne me suis pas plainte quand vous m’avez annoncé notre désastre. Je suis entrée de plein pied dans notre nouvelle vie… Quelles peuvent être mes prétentions aujourd’hui ? Être la femme d’un ouvrier, moi, ouvrière.

M. et Mme Vital étaient écrasés sous cette logique. M. Vital trouvait que sa fille raisonnait juste, mais sa femme vivait une minute terrible de remords.

Si elle avait pu prévoir un tel résultat, elle aurait laissé sa fille paresser tant et plus au lieu de la précipiter vers une telle destinée.

— Ma petite fille, promets-moi que tu ne t’engageras pas à la légère ?

— Il n’en est pas question, maman, répondit Aubrine avec un rire… Maintenant, je vais aller au Salut puisque vous ne voulez plus vous promener.

Mme Vital ne songea pas à accompagner sa fille tellement elle se sentait éperdue devant la menace qui se profilait devant elle. Se pouvait-il que son enfant, qui avait refusé quelques partis enviables, fût sensible à l’admiration d’un pauvre ouvrier ?

Seule avec son mari, elle murmura, tremblante :

— Qu’avons-nous fait ?

— Ne vous mettez pas martel en tête. Aubrine peut fort bien provoquer un coup de foudre sans qu’il y ait un mariage comme suite. Vous avez une figure chavirée, ma pauvre amie. Si nous nous apercevons que les choses tournent à notre désagrément, il nous sera facile de rétablir la situation.

Quand Aubrine revint, le hasard voulut, à moins que ce ne fut la Providence ou le dieu malin de l’amour, ou peut-être tout simplement le guet patient de Roger, mais la jeune fille rencontra Roger Ritard devant l’immeuble. Elle eut un mouvement de joie, alors que Roger bredouillait :