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sens quand elle avait imaginé cette épreuve. Et son mari, qui l’avait suivie dans cette voix périlleuse, au lieu de la déconseiller !… Cette pauvre petite Aubrine devenait une victime. Elle n’avait jamais rien commis de mal, la pauvre enfant ! Paresseuse, oui… mais du moment qu’elle en possédait les moyens.

Alors qu’elle pensait ces choses, Aubrine détaillait ses exploits. Elle raconta sa visite chez les Ritard :

— C’est une femme simple, mais que cela sent bon chez elle ! Je cultiverai certainement cette relation pour me parfumer sans que cela me coûte.

Aubrine éclata d’un rire jeune et frais qui chassa les papillons noirs de sa mère.

— Elle habite seule, notre voisine ?

— Non, elle a un fils qui est un modèle, assure la concierge. Il ne sort pas le soir et ne s’enivre pas. Il est dans un chantier où il scie des planches, à moins qu’il ne les mette en tas… Je n’ai pas approfondi la question.

Aubrine, contente de ses courses, dit encore à sa mère que le lendemain elle ne changerait pas de robe pour aller chez sa patronne. Son tailleur était gris, avec une blouse de soie du même ton, et elle le jugeait tout à fait conforme à la situation.

À vrai dire, tout ce qui lui arrivait lui paraissait factice. Elle s’établissait dans un autre milieu et se figurait que c’était un intermède. Elle ne soupçonnait pas à quel point elle devinait juste.

Quand son père apprit qu’elle entrerait le lendemain en fonctions, il rit de tout son cœur, ce dont Aubrine fut un peu choquée. Elle s’attendait à des compliments, voire à de l’attendrissement. Connaissait-elle donc aussi mal son père ? Elle capta au passage le regard désapprobateur que sa mère lança à ce père qui prenait si légèrement les démarches sérieuses de sa fille. Elle n’en tira nulle déduction. Elle constata simplement que le climat de Paris convenait merveilleusement à M. Vital, et que tout lui paraissait sujet à gaîté. Elle admirait son attitude devant le travail de bureau auquel il était censé s’astreindre tous les jours.

Elle s’écria :

— Vous ne me félicitez pas pour mon activité ? À peine suis-je installée dans ce quartier que j’ai déjà trouvé une occupation par mes propres ressources !…

— Tu es un as ! Ce qui me comble d’orgueil, c’est que tu n’as pas une plainte contre la vie austère à laquelle je te voue, moi, chef de famille.

— N’en parlons pas ! Dans le code des jeunes il est déclaré que le passé est une réalité morte. Du moment qu’il est révolu,