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je prévis une scène si pathétique que je reculai.

Maman me serrerait sur son cœur en pleurant et me défendrait de me sacrifier. Je résisterais, et papa serait tourmenté au plus haut degré, tout en essayant de le cacher.

Non, il fallait me taire, et non pas marchander avec mes sentiments filiaux.

— Je ne suis pas difficile du tout, dis-je avec fermeté. Je dirai même que le genre distingué ne me plaît pas beaucoup. Un homme un peu fruste ne me fait pas peur. Il ferait même quelques fautes de langage, que cela m’amuserait. Tu vois que je ne vise pas le snob. Dans la vie, il faut bien s’étudier, afin de savoir avec qui l’on peut être heureux, et je sens que le bonheur, pour moi, serait au un être sans manières, tu sais, un de ces messieurs qui dit : « Vot’ demoiselle » ou bien encore qui sourit dans le récepteur du téléphone en répondant : « Je vais dire à Mme  Carade qu’elle vienne vous causer. » Au moins ainsi, on est à l’aise, et on n’a pas besoin de se surveiller, alors…

Maman m’interrompit en gémissant :

— Tu es folle !… Que signifie ce verbiage incohérent ?

— Comment, incohérent ? Je dis les choses telles que je les pense. Crois-tu donc que les conventions mondaines soient toujours intéressantes ? Je ne puis m’en accommoder. Je force ma nature à tout instant, et celui que j’épouserai sera un primitif, un bon garçon au nez en l’air, avec des mains peu soignées… Il sera brun et il aura…