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marane la passionnée

Je frémis. Était-ce donc cela une déclaration d’amour. Il me semblait qu’elle sonnait faux. Maman commença un mot, mais sa voix fut couverte par celle de Chanteux.

— N’avez-vous pas compris, Madame, que je vous vénère… que… je vous aime, proféra-t-il avec un tremblement.

— Sortez ! rugit maman, comme une tigresse attaquée.

Dieu ! que je fus soulagée. Je sentis mon visage s’épanouir.

— Quoi ! s’écria Chanteux, vulgairement.

— Sortez ! répéta ma mère. La comtesse de Caye n’épousera jamais son régisseur.

Elle, si fragile, un génie mystérieux paraissait la soutenir.

Ce fut plus fort que moi, j’applaudis et je me tins sur le seuil, mais nul des deux adversaires ne m’aperçut.

Maman était si pâle que je crus qu’elle allait mourir.

Chanteux était comme un fou furieux.

— Qu’est-ce à dire ?

Il se redressait.

— Je ne vous vaux pas, par hasard ? cria-t-il grossièrement à ma mère.

— Je ne conteste pas vos qualités, mais je suis libre de ne pas accepter votre proposition et je ne vous permets pas de me manquer de respect.

— Il vous en cuira ! hurla Chanteux, exaspéré.

Je frissonnai de dégoût devant la menace de cet homme. Toutes ses batteries étaient démasquées. Il nous réduisait à la misère afin d’acculer maman à un mariage. Il se rendait indispensable, nous terrorisait, voulait anéantir l’esprit d’Évariste, exagérait ma mauvaise réputation, tout cela pour devenir le maître légitime par intimidation.

Il me remarqua enfin et ma vue porta sa fureur à son comble.

Cependant, malgré son aspect de bête déchaînée, je relevai ses paroles :

— Des menaces ?

— Vous… vous n’avez rien à dire, me répondit-il insolemment.

— Vous ne m’empêcherez pas de parler chez moi, continuai-je tranquillement.

— De vous à moi… des ordres ? ricana-t-il.