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marane la passionnée

Je devenais assez malheureuse et je me demandais ce que deviendrait ma vie.

Les entretiens de maman et de Chanteux devenaient de plus en plus fréquents. Ils avaient lieu, le plus souvent, vers quinze heures, et cela me contrariait, parce que je tenais à les entendre sans qu’on le sût. Il était question de vente, de prêts, d’emprunts, de notaire. Je ne comprenais pas grand’chose, mais maman paraissait accablée.

Certains jours, où je rôdais autour de la maison pour surprendre la venue de Chanteux, il ne se montrait pas. Je me promettais chaque fois d’abandonner cet espionnage.

Un matin, j’avais formé le projet d’effectuer une longue course vers treize heures, quand Chanteux entra, après s’être fait annoncer.

Il était dans un petit salon, ouvert sur le grand salon où je cherchais un cahier de chant pour étudier quelque peu.

Je ne bougeai plus.

Maman survint rapidement.

— Madame la comtesse, je vous présente mes hommages.

— Asseyez-vous, Monsieur Chanteux… Avez-vous pu vendre cette couple de poulains dont vous me parliez dernièrement ?

— Hélas ! Madame, le régisseur Chanteux n’a pas la main heureuse. Les acheteurs préfèrent les patrons. On m’accuse de vouloir gagner trop, on prétend que je veux une part de bénéfice.

— Comme tous ces détails sont pénibles, murmura maman.

— Je vous l’ai dit, Madame, il faudrait un vrai maître qui exploitât pour son propre compte. Vous verriez alors comme la situation changerait !

— Que faire ? s’écria maman dans un cri de désespoir.

Elle ne devinait pas plus que moi l’ambition de Chanteux. Il poursuivit :

— Madame devrait se remarier.

Le grand mot était lâché. Je faillis m’exclamer, tandis que maman, abasourdie, répétait :

— Me remarier…

— Mais oui, Madame, vous êtes jeune et vous ne pouvez rester seule avec ce domaine à exploiter. Aussitôt que l’on verra un maître ici, le rendement de vos terres se multipliera.