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marane la passionnée

je les évoquais pour cet homme sans entrailles qui torturait ma mère. Que j’avais été mal inspirée de me lier d’amitié avec Jean-Marie ! Je ne savais pas alors que Chanteux avait dicté une conduite aux fermiers et j’étais tombée dans leurs pièges.

Heureusement, Dieu m’avait éclairée à temps. Mes yeux se dessillaient tous les jours davantage. Mais que faire ?

J’avais pris le parti de ne plus causer de ces choses avec maman. Je la sentais démoralisée et je ne pouvais pas retourner sans cesse le fer dans la plaie. Il fallait que je fusse sûre d’une solution. Chanteux devait être pris dans ses propres filets. Je ne savais pas trop à quoi il voulait aboutir, mon expérience étant limitée, et la pensée de certaines ambitions absolument absente de mon esprit. Je pressentais un danger, mais lequel ? Je cherchais.

Je suppliai Dieu de m’éclairer.

Je ne croyais pas un mot de ce qu’avançait Chanteux au sujet de mon frère. J’étais persuadée que c’étaient les manœuvres du régisseur qui avaient transformé Évariste en un jeune intempérant.

Je devinais que le plan diabolique de ce misérable était tracé et qu’il avait voulu garder son jeune maître sous sa dépendance.

Je ne croyais pas davantage aux exagérations de la fermière me concernant. Jean-Marie m’avait révélé le fond de la trame.

Mais j’étais résolue, maintenant, à garder ces ténèbres en moi.

Je ne revins qu’à la nuit, oubliant tout à fait, dans le feu de mes réflexions, que cette rentrée tardive pouvait servir les menées de notre régisseur.

Toute candeur, je pénétrai dans la chambre de ma mère, après avoir péniblement amené un sourire sur mes lèvres.

— Oh ! Marane, quelle heure insensée ! Il va être 19 heures, et voici un après-midi que tu es hors de la maison !

— Baste ! ripostai-je d’un air faussement insouciant, c’est l’été et il faut en jouir !

— Quand seras-tu plus consciente de tes devoirs ? s’écria