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marane la passionnée

Je l’oubliai pour surveiller Chanteux avec plus d’attention.

J’allai chez les fermiers quand il en sortait, et je ne pouvais m’empêcher de trouver ceux-ci gênés quand ils me voyaient entrer chez eux.

Ce n’était plus cet accueil cordial qui me plaisait tant.

Il me vint que notre régisseur jouait au maître et je déplorai que maman lui laissât autant d’initiative.

Un jour, ce fut un pur hasard et non une volonté de ma part, je surpris encore une conversation entre maman et lui.

Il parlait.

— Comme régisseur, je n’ai pas l’autorité nécessaire sur les fermiers. Ils voient trop en moi un salarié. Il leur faudrait un vrai maître.

Maman resta quelques instants silencieuse. Je m’imaginai qu’elle devait être prostrée parce qu’elle répliqua, non sans hésitation :

— Évariste devient plus sérieux chaque jour, et, dans quelques années, quand il aura conquis ses diplômes, il aura plus de poids.

— Ne pensez pas à M. Évariste, Madame. Vous connaissez son malheureux penchant.

— Mais, se récria maman, il m’écrit des lettres fort claires à ce sujet ! Son précepteur aussi, et il n’est pas retombé dans ce… dans son intempérance depuis son séjour ici.

— Oh ! Madame, trancha Chanteux impatienté, ne vous leurrez pas. M. Évariste est ravi de ne plus être sous vos yeux, et dans ses moments de lucidité, il vous écrit tout ce qu’il veut.

— Mais son vénérable précepteur ne pourrait me tromper ! Il atteste que mon fils se conduit bien, qu’il travaille on ne peut mieux et que sa volonté se développe.

Chanteux eut un rire sarcastique que j’entendis en frémissant.

— Pauvre Madame ! dit-il d’un ton protecteur. Mais le précepteur de M. Évariste a tout intérêt à vous laisser croire ces choses ; il a une rente sérieuse avec son pensionnaire.

— Oh ! se rebella maman, ce digne prêtre ne me mentirait pas !

— Sachez que l’intérêt gouverne le monde, Madame, prononça Chanteux d’un air doctoral.