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marane la passionnée

— Eh bien ! Mademoiselle Marane, vous me faites l’effet d’être bien paisible depuis quelque temps. Le printemps est cependant attirant.

— C’est vrai, ripostai-je tranquillement. Il faudra que je me rende dans quelques fermes pour m’informer des travaux.

— Et pour voir si vous y rencontrerez un ami !

Il éclata de rire. Je serrai les dents. Ah ! comme j’aurais voulu être un homme pour enfoncer mon front, tel un bélier, dans les côtes de ce rustre !

Je secouai la tête et je répliquai :

— Vous pratiquez donc toujours les insolences ?

Il ne se formalisa pas et riposta :

— Vous auriez bien voulu m’éloigner d’ici, mais je suis bien rivé à votre sol.

— Évariste reviendra, criai-je, et il sera le maître !

— Heu ! Heu ! Nous verrons cela.

— C’est bien entendu !

— J’ai bien peur qu’il n’arrive un peu tard, goguenarda le régisseur.

Hélas ! je ne savais pas feindre et je montrai ma stupéfaction. Je demandai vivement :

— Et pourquoi sera-t-il tard ? Évariste sera toujours le comte de Caye, propriétaire de ce manoir et de ses terres.

Chanteux eut un rire assez narquois qui m’effraya, mais, cette fois, je n’en laissai rien paraître. Puis, suivant sa manière, il se repentit sans doute de m’avoir parlé ainsi et il me dit, avec un sourire sans réticences :

— J’ai pris plaisir à apeurer Mademoiselle, mais vous avez raison, M. Évariste trouvera la propriété améliorée selon les intentions de Monsieur votre père.

Cette politesse masquait trop soudainement des paroles ambiguës pour qu’elle me rassurât.

Je cherchais à savoir ce que Chanteux pouvait mûrir comme plan.

Bien qu’inquiète, je ne parlai pas de ces choses à ma mère. Je craignais de nouveau sa désapprobation. Cet incident éloigna de mon esprit la pensée du mariage de Jeanne de Jilique.