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marane la passionnée

aussi m’espionnait. Je me cachais pour le surprendre, comprenant confusément qu’il faisait le guet autour de moi. Je savais qu’il aurait eu du plaisir à relever des fautes de tactique (selon son expression), qui auraient nui à un mariage éventuel.

Je crois qu’il contribua beaucoup à me rendre plus posée.

Maman crut que c’était l’âge de raison qui me venait, mais si elle m’avait vue sur les roches, ou dans le parc avec mes chiens, quand je savais le régisseur loin de mes yeux, elle eût été surprise par mes gambades. Non, c’était Chanteux qui me rendait prudente.

J’étais allée me confesser pour Pâques et j’avais décidé de m’humilier totalement devant le Seigneur, en ne célant rien de mes pensées, de mes hypothèses, de mes craintes pour l’avenir.

Je fus très véhémente au sujet de Jeanne de Nadière. J’apportai de la violence à l’accuser, tout en me stigmatisant moi-même de le faire.

Par deux fois, notre excellent curé s’exclama et me pria de parler moins haut.

Je sortis du confessionnal les joues en feu, et comme j’étais la dernière pénitente, M. le curé me rejoignit.

— Mon enfant, mon enfant, que votre cœur ait la paix et que votre imagination se modère. Vous envisagez tout avec excès, et je crains toujours que votre impulsion ne soit funeste. Il faut, à tout prix, refréner, non pas vos sentiments, mais vos instincts, que vous laissez se développer presque à l’état sauvage. Je tremble à l’idée que vous auriez pu détruire le bonheur de votre cousine. Promettez-moi plus de modération dans vos jugements, moins de passion dans vos déductions.

Je dois l’avouer, à ma grande honte, je ne pus admettre les paroles sages de M. le curé. Il me semblait que tout le monde me jugeait mal. Je paraissais agressive, alors que j’implorais la justice, selon moi. Cependant, je me tus.

Quelques jours passèrent, où mon attention fut distraite par des attaques imprévues de Chanteux.

Il me rencontra un après-midi. Son attitude me parut triomphante :