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marane la passionnée

Je courus dans le crépuscule. Je n’avais peur ni de la nuit, ni des ombres, ni du vent qui s’était levé et qui sifflait, ni de la mer qui paraissait courir dans mon dos, ainsi qu’un cheval ayant le mors aux dents.

Je ne pensais qu’à une chose : broyer Chanteux sous mes talons, le réduire à notre merci !

Je rentrai comme une folle. J’étais échevelée, ruisselante de pluie, les pieds boueux. Ma respiration était oppressée et, quand je pénétrai dans la chambre de maman qui priait, agenouillée sur son prie-Dieu, je criai :

— Qui nous délivrera de Chanteux ?

— Encore !

— Toujours ! Il a osé insinuer que je m’étais compromise avec Jean-Marie, et que je ne pourrais plus me marier !

— Ah ! sanglota maman, je t’avais priée de ne pas aller chez ces Cordenec. Les enfants sans père ne devraient jamais quitter leur mère.

Le ton de maman était désespéré.

— Mère chérie ! m’écriai-je, ne te désole pas ! J’essaierai d’être comme tu le désires. Il viendra un temps où je me plairai davantage à la maison.

— Tu es si fantasque, tu dédaignes mes avis, et vois ce qui t’arrive.

J’aurais voulu pleurer, mais je ne le pouvais pas.

— Si Chanteux n’était pas si méchant, dis-je, il ne nous arriverait rien. À ta place, je n’hésiterais pas à me débarrasser de lui.

— C’est impossible !

— Nous pourrions gérer le domaine.

— Ce serait complet. Je ne connais rien aux chiffres, rien aux placements, rien aux achats, non plus qu’aux ventes. Il faut un homme rompu au métier pour maintenir cette affaire…

— Eh bien ! mets le domaine en vente, et nous irons en ville, où nous n’aurons plus besoin de Chanteux.

Je proposais ce moyen avec un déchirement au cœur. J’aimais tant le manoir.

— Vendre, répliqua maman, il y a longtemps que cette idée m’est venue, mais Chanteux prétend que ce serait à perte pour le moment. Il faut attendre, toujours attendre.