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marane la passionnée

L’indignation et l’horreur me rendirent d’abord muette. Alors que je croyais avoir été bonne et humble, j’entendais cet aveu, ce plan, cette fourberie. Au lieu de dévouement, j’avais fait germer une ambition démesurée. Le sourire ambigu de la fermière recélait ce projet ! Mlle de Caye deviendrait la femme de son domestique ! Quelle machination !

Je vociférai hors de moi :

— Tu es fou ! Ta mère a une audace incroyable, et je vais vous faire renvoyer tous.

Jean-Marie devint tout pâle et il me supplia :

— Oh ! vous ne ferez pas cela, Mam’zelle.

— Je le ferai ! Je t’élève au rang d’ami, de page en quelque sorte, et tu voulais te contraindre à m’embrasser pour que je devienne ta femme ! Tu voulais me compromettre ? Tu n’es qu’un misérable, et si j’étais une princesse du Moyen âge, je te ferais rouer de coups.

J’agitais ma cravache. Ma main avait du mal à ne pas se lever sur Jean-Marie.

Il me dit, en me regardant bien en face :

— Vous pouvez me frapper encore, Mademoiselle, je le mérite, pour ne pas m’être révolté contre les ordres de maman.

Cette humilité me désarçonna. Je ne sentis plus de colère. Je réfléchis qu’il n’avait fait qu’obéir aux suggestions de sa mère.

— Et tu as cru que les choses se passeraient telles que ta mère les rêvait ?

Il répondit :

— Ce n’est pas tant maman, que…

Il s’arrêta subitement :

— Allons, achève ta phrase !

— Que… M. Chanteux…

Il tremblait en proférant ce nom.

— Chanteux ? dis-je, étonnée, que vient-il faire dans cette circonstance ?

— Je ne le comprends pas. Je sais, qu’un jour, j’ai entendu Chanteux dire à mes parents : « Ce serait on ne peut mieux que cette petite sauvage en vienne à épouser Jean-Marie. On a vu de ces mariages, vous serez de grands fermiers, et vous