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marane la passionnée

fût jeune à qui me confier. Maman était si craintive que je n’osais pas lui dire tout ce que je pensais.

Je me rapprochai de Jean-Marie et lui dis :

— Je m’excuse de t’avoir parlé si durement. Cela me fait tant de peine de savoir que mon frère s’est comporté ainsi, lui qui était si sobre et si digne.

Je crus que mon compagnon allait me dire quelque chose, mais il s’arrêta.

Je repris des brins de paille et je les tressai en silence. Au bout de quelques minutes, Jean-Marie me demanda :

— Vous n’aimez pas rester dans votre maison, près de votre maman ?

— Pas du tout. Les ouvrages des femmes ne me plaisent pas. Puis, tu sais, rester assise pendant des heures n’est pas possible pour moi.

— Oui, vous êtes encore une enfant. Chez les personnes riches, on reste enfant très tard. Chez nous, il faut travailler si jeune que cela vieillit.

— Je suis peut-être enfant pour les travaux, mais pour la maturité de l’esprit, j’ai plus que mon âge, je te l’assure !

Il rit, et notre entente revint.

Notre conversation était pleine de cordialité, quand Chanteux entra.

Je m’attendais si peu à le voir là que je restai sans voix pour répondre à son bonjour, ce qui lui permit d’ajouter :

— Tiens ! Mademoiselle Marane ! Vous êtes devenue apprentie de ferme, maintenant ?

Il me regarda, goguenard. Je cherchais une réplique cinglante, quand il ordonna à Jean-Marie :

— Dis donc, tu iras prendre pour moi le poisson que j’ai commandé à Quenech.

— Bien, Monsieur Chanteux.

J’étais mortifiée d’entendre que mon ami recevait des ordres de Chanteux, mais il était le régisseur qui avait la haute main sur tous.

Mon sang-froid m’était revenu, mais je n’avais rien à dire.

J’attendis que Chanteux fût parti.

— J’irai avec toi chez le pêcheur Le Quenech.

— Non, Mam’zelle.

Jean-Marie avait l’air troublé. Il murmura :